L’élection de Donald Trump, il y a un an tout juste, à la présidence des Etats-Unis d’Amérique, a eu comme effet de littéralement déchaîner les deux grands médias du pays, The Washington Post et The New York Times. Alors que, depuis mai, les médias hexagonaux restent, dans l’ensemble, plutôt huileux devant Emmanuel Macron – lui, Brigitte, ses ministres et La République en Marche. Comme frappés de sidération collective. Avec des exceptions notables, comme L’Humanité (que j’aurais au moins cité une fois en 6 ans et demi de billets du lundi, tout arrive), Alternatives économiques ou Mediapart, qui suit toujours de près les suites de l’affaire Ferrand, classée sans suite. Certes, si les filles avaient pris le pouvoir (Marine Le Pen et Hillary Clinton), les lignes éditoriales se seraient peut-être inversées : tranchantes et à Paris, dociles outre-Atlantique.

« Affaiblis depuis plusieurs années par la douloureuse mutation de leur modèle économique, les deux quotidiens américains, qui ont écrit dans les années 1970 parmi les plus belles pages d’investigation avec les Pentagon Papers sur la guerre du Vietnam, et l’affaire du Watergate sur les turpitudes de Richard Nixon, ont retrouvé face à ce président problématique un vrai panache », décryptent dans un amour de papier Les Échos week-end (4/5-11). Qualifiés d’ « ennemis du peuple américain » par le président républicain, ces médias, qui font aussi office d’institutions (The New York Times, 1.350 journalistes, a été créé en 1851 et The Washington Post, 750 journalistes, en 1877), rivalisent de scoops en guise de riposte. Par le Times, les révélations sur les ingérences russes dans l’élection de 2016, « qui ont conduit au limogeage de l’ex-patron du FBI, James Comey, en mai 2017 » ; par le Post, le passage au peigne fin « des conflits d’intérêt de la famille présidentielle et a mis à jour le rôle du fondateur de l’armée privée Blackwater, Eric Prince, dans la création d’un canal de communication discret entre Trump et Poutine ». Le nouveau scandale financier des Paradise Papers, travail journalistique international, sorti ce week-end et éclaboussant un ministre de Trump, en remet une couche.

Voilà une saine leçon de démocratie. « Il suffit de rester fidèles aux principes de base du bon journalisme : agressivité et scepticisme », pose Dean Baquet, directeur du Times. Retour en France et à votre serviteur. Ces « principes de base » m’ont été transmis dans l’excellent Centre de Formation des Journalistes – que j’appelle encore aujourd’hui par métonymie « rue du Louvre ». Mais cet enseignement s’est opéré de façon parfois un peu trop académique, feutrée, dans une sorte d’entre-soi. Or, la bonne info et le pilotage d’une rédaction exigent des valeurs non-intellectuelles, comme l’acharnement, la rigueur, l’honnêteté, une insondable capacité à résister aux pressions, un contact permanent avec ses lecteurs. Ne jamais les perdre de vue, malgré les emmerdes, la fatigue, les process et les gens qui vous veulent du bien. Il s’agit aussi de faire parler, au bon sens du terme, son interlocuteur-trice, de la-le convaincre de l’intérêt, pour elle-lui, à vous communiquer des informations à vous, plutôt qu’à un-e autre*. Bref, d’obtenir sa confiance à long terme. Des dimensions qui se situent au carrefour de l’émotionnel et des techniques militaires et policières : quadriller le terrain, harceler l’adversaire, esquiver les leurres, atteindre ensemble l’objectif. Elles mériteraient d’être enseignées en profondeur, même si, selon moi, des compétences génétiques (instinct et faim) ne sont pas transmissibles. Alors que j’ai passé autant de temps à l’école qu’au boulot (16 ans/16 ans), je pense qu’une telle formation, innovante à bien des égards, ferait gagner beaucoup de temps à des générations de journalistes, dans les enquêtes sur Trump comme pour couvrir un fait divers mineur dans une ville moyenne.

* Pour éviter une citation sur #balancetonporc, l’ordre des genres est classé de façon équitable : deux fois le féminin en premier, autant pour le masculin.