Message à celles et ceux qui me demandent en permanence des articles et magazines gratuitement parce qu’ils sont cités dedans – ou leur boss, ou leur client.
Ce que les journalistes produisent a une VALEUR. L’investigation, la hiérarchisation, la rédaction, la clarification, la concision, le croisement des sources, le développement et l’entretien d’un réseau d’informateurs, la connaissance des dossiers, des territoires et des hommes, la correction et la mise en page représentent un TRAVAIL et des COMPÉTENCES, qui justifient une RÉMUNÉRATION. Dingue !
Donc, non, bureaux de Toulouse et de Montpellier comme un seul homme, nous ne diffusons pas et ne diffuserons pas GRATUITEMENT la production de La Lettre M, mon fidèle employeur (à force, je ne sais plus lequel des deux est fidèle à l’autre) depuis 15 ans. Comme Danone ne donne pas ses yaourts ou comme Renault ne donne pas ses bagnoles. Et comme certaines agences de relation presse, si promptes à quémander des contenus gratuits, n’offrent pas leurs services à leurs clients sans de solides contreparties.
Et puis, surtout, ça ne se demande pas. Je donne à qui je veux, si je veux. Enfin, c’est comme ça que ma maman m’a élevé, mais c’est vrai que c’était il y a longtemps.
Alors, je réexplique, faites un effort de concentration. La Lettre M est une lettre de pré-information confidentielle dans les 13 départements de la région Occitanie, diffusée sur abonnement. Ce qui veut dire qu’elle existe, mais n’est pas disponible en kiosque.
Vous pouvez vous abonner (1 euro par jour le pack web et print, la ruine), vous rendre sur notre e-boutique pour un achat au détail, et/ou souscrire une offre gratuite d’un mois – je ne mets pas de lien, vous n’avez qu’à chercher sur le site. Et si vous préférez mettre vos sous dans l’Iphone 7 ou une pinte de bière, je m’en fous, mais lâchez-moi avec cet état d’esprit de gagne-petit !
J’ai une explication : ces vapoteurs-lecteurs sont mal habitués. Trop de nos confrères diffusent trop de contenus gratuits, se rattrapant sur des événementiels foireux, des partenariats incestueux, une dépendance dangereuse à la pub ou des publi-rédactionnels qui ne disent pas leur nom, et nourrissant une précarisation croissante de la profession. Distributions promotionnelles, newsletters ouvertes, live-tweets effrénés, course à l’échalote sur les réseaux sociaux… Dérives du low-cost, voire du tout-gratuit, auxquelles succombent, côté lectorat, des personnes pourtant diplômées, érudites et en place. Un haut responsable d’un cabinet d’audit, à qui je proposais, au cours d’une discussion, une offre découverte, me rétorque : « Vos infos, je peux les avoir gratuitement. » La vulgarité mensongère, taillée dans un costard à 2.000 euros. Heureusement, il y a le noyau dur des fidèles. Malgré ce coup de gueule nécessaire, que vous m’avez déjà pardonné, je ne perds jamais de vue l’objectif de haut niveau : régaler nos abonnés, toujours plus nombreux – et que je remercie chaleureusement.
Je ne suis pas (encore) débile. Bien sûr que nous ouvrons un minimum nos contenus, pour accroître la notoriété de la marque et montrer ce dont nous sommes capables. Deux à trois infos sont ainsi diffusées gratuitement chaque jour via notre compte Twitter (cf. ci-contre, là, à droite). C’est parfois de vrais bons scoops, pour créer le buzz. Histoire d’écoeurer nos concurrents ? Non, ce n’est pas mon état d’esprit. Plutôt : histoire de donner envie aux meilleurs éléments de la concurrence de venir bosser pour nous.
Dans un monde de gratuité, imposer l’idée de contenus payants demande d’être, en interne, irréprochable sur la qualité de la production. Se démarquer, toujours et encore, grâce à l’expertise des journalistes – chez nous, ils sont en CDI, pas pigistes à la petite semaine : on croit en nos équipes, re-dingue ! L’exigence doit être placée à un très haut niveau. De la place de la virgule à la résolution de la photo. Du choix des sujets – les meilleures enquêtes sont celles que l’on n’a pas faites – à la façon de les traiter, de façon nerveuse, originale, honnête, non consensuelle, contradictoire et exhaustive. Écrire des choses que vous ne lisez pas ailleurs. Et ça, si vous le voulez bien, j’en fais mon affaire.
Tu as tout à fait raison, Hubert. L’information gratuite des petits journaux ou d’internet, sans tri ni vérification, n’est pas sérieuse. C’est tout au plus un jeu permettant de développer son sens critique en cherchant pourquoi ce n’est pas crédible.
Bernard
Sublime ce billet ! Tu rejoins l’analyse produite par un journaliste lors d’un débat entendu il y a deux ou trois ans sur France Inter ou France Culture à propos de l’évolution du métier de journaliste et de la presse en général.
Il ne s’inquiétait pas vraiment pour la profession, remarquant simplement que cette évolution ne faisait qu’imposer à ses membres une exigence de contenus de plus en plus qualitatifs pour se démarquer des contenus produits par la communication, un tout autre métier.
En revanche, si je me souviens bien, je crois que les intervenants avaient malheureusement occulté de leur débat la précarisation croissante de bon nombre de leur confrères. Mais peut-être n’est-elle croissante que chez ceux qui peinent à produire des enquêtes à la fois exclusives et « nerveuses, originales, honnêtes, non consensuelles, contradictoires et exhaustives »…