C’est le pendant de la flambée des réseaux sociaux et de l’automatisation des tâches : le besoin de communication physique et la quête d’authenticité n’ont peut-être jamais été aussi forts. Les soirées-réseaux pullulent, alors que tous leurs participants échangent déjà via les plateformes professionnelles numériques. L’erreur consisterait à opposer les deux mondes – les ultras connectés narguant les ringards ante-Millenials et les bûcherons des cimes raillant les zombies numériques. En business comme pour le filet mignon à l’ail et au thym, tout est affaire de dosage.

Certaines entreprises perçoivent le danger de workflows (flux de travail) trop denses, en allégeant les process. La surabondance de reporting, réunions ou outils partagés peut faire perdre de vue les objectifs de haut niveau – innovation, veille stratégique, anticipation, connexion au marché, satisfaction client. Et peut faire fondre les plombs à des éléments-clés trop investis. D’autres groupes, enkystés dans leurs habitudes du passé, seront bientôt « amazonés » (balayés par les sociétés de la nouvelle économie). Que répondre à un dirigeant qui martèle, en mode certitudes, « ma boîte marche ainsi depuis 40 ans » et n’entame pas une transition digitale profonde ? « La majeure partie des stratèges d’entreprises ne saisissent pas le fait que les logiciels ne transformeront pas à eux seuls leur business model, peut-on lire dans le dernier Harvard Business Review. Si des entreprises comme Netflix, Uber ou Tesla s’appuient effectivement sur une exploitation novatrice des ressources logicielles, elles ont aussi toutes changé la manière dont les produits sont distribués et entretenus, ainsi que le sourcing de diverses formes d’intrants. »

Le bon usage du machine learning, pan de l’intelligence artificielle, doit permettre de se dégager des tâches répétitives pour se cantonner à la seule valeur ajoutée. Pour faire plus simple, et parler de ce que je connais : dans mon secteur de la presse, si un robot paramétré peut, et pourra de plus en plus et de mieux en mieux, envoyer des tweets, mails ou SMS, remonter des articles comprenant des mots-clés, adapter les contenus au destinataire ou pré-hiérarchiser des infos, seul un humain pourra rédiger un reportage avec des couleurs et une subjectivité, appréhender la psychologie de son interlocuteur, représenter le titre à l’extérieur ou opérer des liens entre des paradigmes apparemment différents. En ce sens, le journalisme a encore un avenir.

Et l’humain aussi. L’Audois Gérard Bertrand, ex-rugbyman (Narbonne et Stade français) devenu viticulteur languedocien réputé (300 salariés), m’expliquait en juin ce que le sport apporte à son mode de management. « Juste avant un grand match, dans le vestiaire, pas besoin de se parler. Tout se passe dans le regard. On sent si le courant passe entre joueurs, ou pas. Dans l’entreprise, il faut reconnecter les gens entre eux, et à eux-mêmes, à l’ère du digital roi. Il s’agit d’inciter les cadres, souvent la tête dans le guidon, à prendre du temps à partager les projets, à essayer de convaincre, à sentir chez les autres s’il y a un intérêt ou pas, s’ils sont prêts à promouvoir telle initiative… L’excellence opérationnelle ne suffit pas. L’art de travailler ensemble ne doit pas être négligée. L’émotion doit circuler autant que l’information. Cette dimension émotionnelle du business est la bataille des cinq prochaines années. Sinon, on va nous expliquer que des algorithmes vont prendre des décisions à notre place ! » Et écrire les billets du lundi. Inconcevable.

* Août-septembre, « Le problème avec les écosystèmes du passé : ils vous éloignent de vos clients » / Maxwell Wessel, Aaron Levie et Robert Siegel.