Samedi, des dizaines de milliers de Français vont endosser des gilets jaunes et procéder à divers blocages, pour protester contre les hausses des taxes sur les carburants. Et, aussi, contre une accumulation de taxes, charges et impôts. Au carrefour de l’indécision, le gouvernement entend maintenir sa fiscalité écologique, tout en promettant des mesures de compensation : chèque énergie, prime à la conversion, aide aux travailleurs qui roulent entre 80 et 100 km par jour. Le tout soumis à une autoroute de conditions. On n’est plus très loin de l’usine à gaz dont la France a le secret. Il ne manquerait plus que le prélèvement de l’impôt à la source, enclenché en janvier, patine, pour mettre le feu aux poudres.
Quelque part, Emmanuel Macron a cherché cet affrontement direct avec une partie énervée du peuple. Les conditions de sa victoire ont, au moins pour un temps, brisé les partis politiques traditionnels. Les poids lourds politiques qui l’ont escorté pendant seize mois – Nicolas Hulot et Gérard Collomb – ont courageusement déserté le navire à la rentrée, à l’apparition des premières voies d’eau. De plus, le chef de l’État méprise ouvertement les corps intermédiaires, juge (plutôt à raison) que les journalistes ne font pas assez leur travail d’information et finit d’affaiblir des syndicats déjà malades de leurs propres dérives. Bref, on peut supposer que c’est par stratégie et nature profonde qu’il se retrouve seul face à cette jacquerie 4.0, sortie de nulle part, sans chef désigné.
Bien sûr, les factures pèsent : le logement en premier lieu, l’énergie, les transports, la pression fiscale, le smartphone à 1 000 euros, les abonnements auprès des fournisseurs d’accès à internet, le forfait de téléphonie mobile, le maillot de foot à plus de 100 euros, la taxe d’habitation pour les plus riches, la taxe foncière pour ces rentiers de propriétaires, les charges de copropriété, les assurances, le sac de courses surtout elles sont bio, etc. Sans plaisanter, à 1 200 euros par mois, la moindre variation de prix fait plonger dans le rouge. Je le sais : j’ai touché ce salaire.
Mais quand même. Quelques vérités que même Macron, pourtant pas avare de tacles vachards, ne prononcera pas : on n’est pas obligés d’offrir des tablettes numériques à Noël à des pré-adolescents qui ne savent pas écrire deux lignes sans faute d’orthographe. On n’est pas non plus obligés d’avoir trois enfants, voire plus, quand les fins de mois sont difficiles dès le premier – ou alors, on accepte que les fins de mois soient encore plus difficiles : il faut être cohérent. Pas obligés, non plus, d’avoir une voiture par personne dans une famille, même en habitant dans un village enclavé. Des solutions de covoiturage et des réseaux de bus existent. En délicatesse avec son permis de conduire, un copain de Lézignan-la-Cèbe (Hérault), papa de deux enfants, a découvert, sans grande motivation au début, l’opérateur Hérault Transport. « Eh bien, tu vas le croire ou pas, mais c’est très bien, le bus. Il faut s’organiser, bien sûr, mais ça fonctionne, et je vis différemment », me racontait-il il y a peu, presque enthousiaste et libéré de cette pression automobile (« les radars, les contrôles, la tolérance zéro, les 80 km/h, l’agressivité des autres… »). Pas obligés, bien souvent, d’habiter à 80 km de son lieu de travail, souvent situé dans les agglomérations. Il est possible d’habiter plus près, à proximité des réseaux de transports, en consentant d’intolérables concessions : troquer la grande parcelle, profilée pour une maison quatre faces, contre une plus petite, voire contre un appartement. Ou alors, on accepte que l’éloignement génère des frais de transport. Là aussi, il faut être cohérent.
Cohérent encore, dans les urnes. Faut-il rappeler le score sans appel de la présidentielle 2017 ? Macron l’a emporté nettement. Certains des contestataires de samedi ont fait le choix de porter au pouvoir un ancien ministre de l’Économie d’un gouvernement de gauche. « Je reprends d’une main ce que je donne de l’autre », a-t-il ainsi théorisé à Colombey-les-deux-Églises, sur les terres de l’ami de Gaulle. Une phrase d’un rare cynisme, étonnamment passée sous silence, mais qui a le mérite de la clarté – je suis un joueur de bonneteau fiscal.
Je vous épargne la mauvaise controverse sur l’évolution à la hausse (d’après l’Insee), ou pas (d’après certains économistes et les syndicats), du pouvoir d’achat. Un journaliste économique ne devrait pas dire ça, mais on s’en fout. Ce que l’on sait, par contre, c’est qu’il y a cent ans, des jeunes gens rentraient de la guerre, en ayant vu la mort partout, les obus, les entrailles explosées, la pourriture des tranchées, les mutilés, les cris des blessés dans la nuit, le froid, la pluie. Ils ont survécu. La plupart d’entre eux auraient préféré mourir avec les copains. C’était atroce. C’était hier. Non, désolé, je ne suis pas un gilet jaune.
Si le Français voyait plus loin que le bord de sa gamelle, nul doute qu’il pourrait consacrer toute cette énergie braillarde qui le caractérise si bien à se dessiner puis se bâtir une existence plus « cohérente ». Et par là même certainement plus constructive pour l’ensemble du corps social et de la Nation…
Mon optimisme à toute épreuve me laisse penser que le jour où le Français, d’en haut comme d’en bas, observera l’horizon aux jumelles ou à la longue vue, le coq aura perdu sa crête et son caroncule !!
Merci pour ce billet qui, à défaut de nous transporter par une charge émotionnelle ou les élans poétiques dont tu as parfois le secret, nous livre la quintessence du mal qui ronge ce pays, s’il existe encore…
Remarquable
Bravo Hubert, cela fait plaisir, moi non plus je ne suis pas un gilet jaune, et j’attends avec certitude dans les 18 mois à venir les effets positifs de la politique de Macron
Bonjour, je ne pense pas être un gilet jaune non plus, mais j’ai l’impression que vos arguments sont en faveur d’un équilibre qui nivel par le bas. Cela n’est pas cohérent avec le fait que nous n’ayons jamais eu autant de progres technologiques, d’inovations, de créations de richesses.
Bravo Hubert !
J’aurais écrit la même chose, si j’avais ta plume…
D’accord sur certaines bêtises; multiplication des tablettes, des véhicules, des enfants quand on n’en a pas les moyens etc…mais c’est plutôt réducteur. Quid de la destruction des services publics; hôpitaux, poste, éducation, police, transports etc…des ponctions sur les retraites, de la multiplication des taxes, de la démagogie qui offre le permis de chasse à moitié prix…de l’aggravation des inégalités, les super-riches toujours plus riches, les pauvres, y compris les travailleurs pauvres dans l’incapacité de se loger, même, ils en rêveraient, dans une petite maison mitoyenne, toujours plus pauvres. La politique de Macron est parfaitement illustrée par cette pensée de l’humoriste Alphonse Allais: « il faut prendre l’argent là où il est; chez les pauvres. Ils n’en ont pas beaucoup, mais ils sont les plus nombreux ». Le mouvement du 17 novembre dépasse largement le problème des hausses de carburant. Quant à la légitimité de Macron, elle repose sur des fondations bien fragiles: élu face à Le Pen…Heureux pour ma part, qui ne vote pas quand le choix se limite à la peste vs le choléra, de ne pas faire partie des cocus du macronisme.