… samedi 28 février à 14h28 sur le fil AFP (Agence France Presse), avant de ressusciter à 14h55. Non content de diriger un empire tentaculaire (BTP, chaîne de télé, télécommunications) l’industriel français de 62 ans est donc doté de pouvoirs bibliques. Pas sûr, cependant, qu’il ait goûté à cette farce médiatique. Il y a bien sûr l’émoi qu’une pareille annonce a sans nul doute suscité, à l’heure du digestif, auprès de ses proches. N’oublions pas les affaires, l’homme étant baigné dedans jusqu’au cou. « Tombée en semaine, au milieu de la journée, l’annonce de la prétendue mort de Martin Bouygues aurait provoqué une déflagration en Bourse des cours de Bouygues et de sa filiale TF1 », analyse Nathalie Silbert, ce matin dans Les Echos.

Rapidité, exhaustivité, fiabilité : la déontologie journalistique de l’AFP tient en ces trois mots d’ordre. Un process rigoureux de validation de l’info existe en interne, ce qui fait de cette agence la meilleure école d’écriture journalistique. Un bel endroit pour grandir et s’ouvrir. « Tu es sûr qu’il a dit exactement ça, le ministre ? Tu as enregistré ? », « Quelle est ta source ? Cite-la ! », « Tu as recoupé ? », « Pour un fait divers, il me faut une source judiciaire, pas policière », « je ne comprends rien à ton papier, réécris-le en français »… Pour le vivre en tant que correspondant, on ne peut pas dire que ce soit le foutoir. Cette rigueur est d’autant plus nécessaire que la planète médias accorde une confiance aveugle en l’AFP, dont la vocation première est d’informer ses confrères.

Dès lors, comment un tel « désastre » (pour l’image de l’entreprise et celle de la profession plus largement), une pareille « erreur gravissime », selon Michèle Léridon, directrice de l’information de l’AFP, ont-ils pu survenir ? Cela reste une énigme. L’AFP n’aurait eu comme seule source d’information que le maire d’un obscur patelin de l’Orne (Saint-Denis-sur-Sarthon). Grotesque. On ne peut même pas invoquer la course au scoop, qui pousse les journalistes à dégainer une info – y compris celle portant sur la mort d’une personnalité – sans l’avoir vérifiée. Car en l’occurrence, l’AFP était seule sur le faux cadavre. Elle n’a eu besoin de personne pour commettre le bug de l’année – une telle information connaît une répercussion mondiale, Bouygues ayant des intérêts du Japon au Groëland.

L’AFP, l’une des trois premières agences de presse du monde avec Associated Presse et Reuters, rappelle à raison que « la fiabilité doit toujours primer sur la rapidité », tout en promettant une « enquête interne » et un renforcement des contrôles. Autrement dit, malgré l’ampleur du préjudice, aucun titulaire ne sera viré. Pas de doute possible : on est bien en France.