Vous qui aimez claquer vos sous au casino (de jeux, pas le groupe de distribution made in Saint-Étienne), l’alignement des trois citrons vous parle tout de suite : le jackpot aux machines à sous, net d’impôts. Bande de coquins. En conclave dans une cave à la mode du centre de Toulouse avec certains de ses pairs triés sur le volet, un jeune dirigeant d’entreprise, âgé d’environ 35 ans, a filé avec humour la métaphore de ces trois citrons, en la transposant dans le domaine de la confiance en soi et du management.

On va faire simple : il y aurait la façon dont on se voit soi-même, la façon dont les autres nous perçoivent et ce que l’on est réellement. Les décalages entre ces trois représentations sont, de fait, légion, dans notre entourage, ou en notre for intérieur. Du timide que l’on pense courageux, et qui est en réalité cabossé de toutes parts avec plein de revanches à prendre, jusqu’au beau parleur se croyant mal aimé et s’épuisant de fait en de vaines séductions, en passant par les paresseux à fort potentiel, rétifs au moindre effort – l’ambition, à quoi bon ? Ou encore, la jolie fille qui se voit obèse, ou mal coiffée, ou autre, et qui, à force de douter tout le temps, en devient moins jolie que des moins jolies qu’elle, pleines d’assurance. Ou, plus classique, les imbéciles qui se croient intelligents, et vivent ainsi très heureux jusqu’à la fin de leurs jours, sans jamais évoluer.

La clé ultime du bonheur, pour chacun d’entre nous, consisterait, d’après notre sémillant trentenaire, à faire s’aligner « nos » trois citrons. Facile sur le tableau noir, moins sur le terrain. J’ai pour ma part longtemps erré dans cette quête inavouée. Le déclic se produisit après des premières prises de parole en public complètement ratées. Trop tendu, le mec. Problème d’estime de soi. Alors, je suis allé chercher les coups, non pas en me formant auprès de coachs vains, mais en sollicitant les avis sans concession de proches. Sans détour : « Dis-moi tout ce qui ne va pas, s’il te plaît », implorais-je alors. Fringues, gestuelle, mental, respiration ventrale, tout y est passé. Formation sur le tas, à l’intuition, de cafés en déjeuners. J’ai même, pour une animation, annoté des smiley sur les bristols, pour ne pas oublier de sourire à un auditoire qui, après tout, ne m’avait rien fait et venait juste passer un bon moment. Et les choses se sont décantées, au point de rendre certains confrères jaloux : la consécration des citrons.

On en devient plus apaisé. On commence à deviner ce que l’interlocuteur veut attendre. On durcit le jeu quand il le faut. À un ami journaliste, qui travaille pour un titre concurrent et venait de me doubler sur deux infos, j’ai adressé un SMS de félicitations ce week-end. Il m’a répondu : « Tu bosses bien, ne te sous-estime pas. » Mais c’est justement parce que je ne me sous-estime pas, et sais ce que je vaux, que je suis tout à fait à l’aise pour claquer un « Bien joué » à un concurrent. Ou encore, souhaiter la bonne année à des amis, même s’ils sont loin, même si on les voit trop peu, sans attendre de réponse de leur part. Pas grave. Ils ont leur vie. Le message est passé.

Les entreprises ne contribuent pas toujours à cet équilibre intérieur. Tout pour les cadres, en matière de perspectives d’évolution, de formations, de gratifications. Le plafond de verre, dont on parle si souvent (et, parfois seulement, à juste titre) pour les femmes, concerne pour de bon les sans-grade et petits personnels, qui ont eu le tort de ne pas être diplômés de l’enseignement supérieur avant l’âge de 23 ans. Mais pourquoi diable se soucier de leur sort, voire les défendre, alors que je me trouve plutôt dans une position sociale devenue avantageuse ? Probablement parce que c’est ce que je suis. Ne jamais oublier de presser ce 3ème citron !