En mai 1995, au soir de son élection à la présidence de la République française, Jacques Chirac avait débuté son discours par ces mots : « Ce soir, je pense à mes parents. » Dans l’hypothèse –probable, pas certaine – d’une victoire d’Emmanuel Macron face à la candidate nationaliste Marine Le Pen, dimanche prochain, le leader libéral d’En Marche ! pourrait déclarer : « Ce soir, je pense à ma grand-mère. » On peut déjà être sûr que l’une de ses premières pensées irait vers cette enseignante passionnée, décédée dans ses bras en 2013. Elle lui a donné, dans son enfance, le goût des livres, du savoir et du mérite républicain, dans le cadre d’une relation fusionnelle, dont l’intéressé ne fait pas mystère. Il passait même ses vacances avec elle.

Un candidat très jeune (40 ans en décembre prochain), connecté et digital, mais aussi ancré dans une forme de tradition romanesque et de rigueur d’antan. « J’aurai peut-être été son dernier élève, explique le candidat dans son livre « Révolution » (XO Éditions), en évoquant sa grand-mère. À présent qu’elle n’est plus, il n’est pas de jour où je ne pense à elle et où je ne cherche son regard. Non que je veuille y trouver une approbation qu’elle ne peut plus me donner, mais parce que j’aimerais, dans le travail que j’ai à faire, me montrer digne de son enseignement. » Au lycée, il projetait une carrière d’écrivain, et tombe amoureux de Brigitte, sa professeur de théâtre, de 23 ans son aînée.

Le combat politique, certes, n’est pas un livre. Diplômé de l’ENA – après avoir raté deux fois Normale Sup, pour cause de love story naissante et compliquée avec Brigitte -, l’ex-ministre de l’Économie de François Hollande a trahi ce dernier « avec méthode », pour reprendre les termes de l’actuel chef de l’État, en démissionnant de Bercy en août 2016, pressentant qu’un espace politique était à prendre. Un alignement de planètes plus tard – désignations de candidats très à gauche et très à droite à l’issue des deux primaires PS et LR, Penelopegate, ralliement de Bayrou -, voilà l’Amiénois aux portes de l’Élysée.

Bosseur increvable et perfectionniste, il est connu comme banquier d’affaires acoquiné avec le Cac 40, avec un passage brillant au sein de Rothschild & Cie, où il est catapulté en deux ans gérant-associé. En avril 2012, il pilote le rachat, par Nestlé, des laits infantiles Pfizer. Une transaction « de plus de neuf milliards d’euros, qui a fait de lui un millionnaire », souligne Le Monde. « Il a rencontré Peter Brabeck, le PDG de Nestlé, quand il était à la commission Attali », explique le journaliste Marc Endeweld. « Il a réussi à construire une relation quasi filiale avec Brabeck alors que le personnage n’est vraiment pas commode », admire un banquier dans Libération« Il séduirait une porte de prison », ajoute l’un de ses anciens collègues de chez Rothschild dans Le Figaro.

Mais ces épisodes sont réducteurs pour définir l’homme. En cas de victoire le 7 mai – pour sa première candidature à une élection -, Emmanuel Macron nous réconcilierait avec la tradition française des présidents lettrés. Tradition oubliée depuis 22 ans et Mitterrand. Et c’est là que la grand-mère « Manette » – décidément aux manettes – refait surface. « Elle m’a appris à travailler, écrit-il. Dès l’âge de cinq ans, une fois l’école terminée, c’est auprès d’elle que je passais de longues heures à apprendre la grammaire, l’histoire, la géographie… Et à lire. J’ai passé des jours entiers à lire à voix haute auprès d’elle. Molière et Racine, Georges Duhamel, auteur un peu oublié et qu’elle aimait, Mauriac et Giono (…) Ainsi ai-je passé mon enfance dans les livres, un peu hors du monde. C’était une vie immobile, dans une ville de la province française ; une vie heureuse, à lire et à écrire. (…) J’ai appris chez Colette ce qu’est un chat, ou une fleur, et chez Giono le vent froid de la Provence et la vérité des caractères. Gide et Cocteau étaient mes compagnons irremplaçables. »

Voilà qui n’est ni suffisant ni requis pour, d’abord, battre Marine Le Pen, puis pour réformer l’État et les collectivités, réduire le chômage et les inégalités, rétablir l’équilibre des comptes publics, mener des guerres et lutter contre le terrorisme. Mais c’est une base indispensable pour saisir et qualifier les nuances du pays, appréhender l’urgence du chantier éducatif et parvenir à prendre le recul nécessaire. Rendez-vous lundi prochain.