La catastrophe ferroviaire de Brétigny-sur-Orge (Essonne), qui a fait six morts et neuf blessés graves dans le train Paris-Limoges, vendredi 12 juillet, est tout sauf une surprise. Dès 2005, un audit de l’école polytechnique de Lausanne pointait un sous-investissement chronique sur le rail français. Dès le 25 juin, un expert ferroviaire confiait à La Lettre M : « L’Etat a une volonté forte de privilégier l’entretien du réseau existant et de repousser quasiment la totalité des projets de lignes à grande vitesse, gourmands en crédit public, à plus tard (…) Le réseau francilien est dans un état épouvantable, avec presque des émeutes quotidiennes. » Des propos sombrement prémonitoires.

Le 27 juin, les conclusions de la commission Mobilité 21 abondent dans ce sens : seule la ligne nouvelle Bordeaux-Toulouse sera réalisée d’ici à 2030. Priorité au réseau existant, où tant d’efforts restent à faire en termes non seulement de sécurité, mais aussi de fluidité (les ‘nœuds ferroviaires’), de confort (places assises, climatisation l’été, accessibilité handicapés, wi-fi, espaces travail, billettique nouvelle génération…), d’information clients et de ponctualité.

Le seul mérite de l’accident de Brétigny est donc de mettre en lumière l’urgence de la rénovation du réseau ferroviaire existant français, au détriment des projets de lignes nouvelles. Faute d’argent suffisant, il faut trancher. Ironie du calendrier : Jean-Marc Ayrault venait de valider cette stratégie, le 9 juillet. Ce drame ringardise, d’un seul coup d’un seul, les pressions protéiformes (communiqués, déclarations, envois de délégations…) des élus concernés par des projets de lignes nouvelles sacrifiés. Les gesticulations des élus en question sont d’ailleurs plus feintes que réelles. Il faut bien faire semblant de se battre et faire croire qu’on a du poids à Paris : les élections (municipales et régionales), c’est demain. Mais au fond, en haut lieu, tout le monde sait très bien qu’il n’y a plus d’argent dans les caisses, encore moins pour des projets de plusieurs milliards d’euros, à la rentabilité hypothétique.

On retiendra aussi l’art consommé de la communication de crise de Guillaume Pépy, président de la SNCF. Quelques larmes de crocodile devant les caméras, quelques minutes après le sinistre, sur les lieux. Redoutable d efficacité : empathie avec les victimes, attachement affectif au ferroviaire… Tout le monde mord à l’hameçon. On est moins à l’aise pour l’accuser/acculer. Chapeau bas. Et maintenant, il faudra quand même nous dire ce qu’elle foutait là, cette éclisse.