La chance sourit aux audacieux. Scénario impensable il y a 5 mois, Emmanuel Macron, 39 ans, créateur du mouvement En Marche en avril 2016 devant 300 personnes à Amiens, est élu le 7 mai 2017 président de la République, avec 66 % des voix, battant nettement Marine Le Pen (Front national). « Rien n’était écrit », résume l’intéressé dans son premier discours solennel. Il est le plus jeune président de la Vème République française, et l’un des plus jeunes chefs d’État en exercice au monde. Son élection vient clore une campagne hors normes, qui a vu les deux partis traditionnels éliminés dès le premier tour, et l’extrême-droite franchir pour la première fois la barre des 10 millions d’électeurs. Mais pas de Frexit ni de victoire du populisme nationaliste. Les marchés financiers, Angela Merkel et une certaine idée de l’Europe peuvent dormir en paix. Pour toutes ces raisons, l’élection de l’ex-banquier d’affaires, célébrée de façon royale et solitaire, en marche dans la cour du Louvre et sur fond d’hymne européen, est historique et dégage une portée mondiale. À la Kennedy/Obama.

« Ce soir, la France l’a emporté », a-t-il déclaré, dans un discours faisant référence aux Lumières, à l’humanisme et à la culture. « Je ferai tout pour que les électeurs de Mme Le Pen n’aient plus aucune raison de voter pour les extrêmes. Le monde attend que nous soyons enfin nous. La tâche est immense et nous impose de continuer à être audacieux. Nous ne cèderons rien à l’amour du déclin ou de la défaite, à l’ironie, à la peur, au mensonge. » Le président élu, enclin au débat et à la transgression – « Il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires », martelait-il, alors ministre de l’Économie, aux Échos en janvier 2015 -, promet la modernisation et le renouvellement de la vie publique. Renouvellement incarné dimanche soir, sur les plateaux de télé, par des étoiles montantes – Ségolène Royal, Gérard Collomb, Dominique de Villepin, Corinne Lepage ou François Bayrou -, ironisent ses détracteurs. Ce fin lettré, doublé d’un tueur au sang froid, place « le travail, l’école et la culture » comme vecteurs d’un avenir meilleur. Parlant couramment anglais, pote avec les grands patrons, l’énarque veut porter un « esprit de conquête » à même d’ « apaiser les peurs », dans un discours applaudi à tout rompre par des dizaines de milliers de gens beaux qui ont réussi. Côté état d’esprit, sentant que la durée de l’état de grâce est déjà comptée, il parle d’ « humilité », de « dévouement », de « détermination ». Son objectif ultime étant de « protéger la République ».

Celle-ci est en effet en danger. Si Marine Le Pen n’avait pas lamentablement foiré son débat de l’entre deux-tours – refus d’obstacle révélant un désir caché de ne pas accéder aux galères du pouvoir -, elle aurait probablement franchi les 40 %. Marion Le Pen – la nièce – se place déjà, et pourrait incarner une adversité redoutable à terme. Par ailleurs, 25,3 % des électeurs se sont abstenus lors de ce 2ème tour, et 9 % ont voté blanc ou nul. Soit plus d’un Français sur trois (environ 16 millions) qui ont « choisi de ne pas choisir » entre les deux candidats du 2ème tour. Emmanuel Macron l’emporte en recueillant les voix de 42 % des 47 millions d’électeurs, malgré la présence du Front national aux portes du pouvoir. Et, parmi ces 42 %, la plupart disent ne pas adhérer au programme de Macron et avoir voté pour lui par défaut. De tels chiffres racontent de la colère, du désarroi ou de l’indifférence, et offrent un sacre compliqué à Macron.

Pleins feux, déjà, sur les prochaines étapes : la nomination très stratégique du Premier ministre (centre droit ?), pour une tentative d’union nationale ; Les premières actions du futur gouvernement (la très attendue loi travail) ; Les législatives (11 et 18/6) qui donneront, ou pas, une majorité au nouveau président, dans un scrutin où il faudra compter avec La France insoumise, le FN et Les Républicains. Dans ce maelstrom, l’essentiel vient parfois du quotidien banal. Comme cette discussion avec mon truculent coiffeur, qui me confiait, l’autre jour, entre deux coups de ciseaux : « Tout le monde s’excite, mais moi je comprends pas pourquoi. Parce que rien ne va changer, comme d’habitude. »