L’eau dans tous ses états, ce vendredi 14 juin au centre d’art Lézigno (Technilum, Béziers ouest), lors du 12ème festival « Heureuses Coïncidences », sur le thème « Viv(r)e l’eau », en présence de 200 architectes, urbanistes, paysagistes, concepteurs lumière, collectivités…

Avec des intervenants d’envergure nationale et internationale : François Leclercq (Leclercq&Associés), Joan Busquets (B Arquitectura i Urbanisme), François Migeon (agence 8’18’’), Sylvain Pioch (Université Paul Valéry), Eric-Jan Pleijster (Lola Landscape Architects), Nicolas Land (MVRDV), Loïc Maréchal (Phytolab), Robert Crauste (maire du Grau-du-Roi), Vincent Delorme (SPL 30).

L’eau vitale, l’eau menace, l’eau manque, l’eau inonde, l’eau meurtrit, l’eau irrigue, l’eau s’infiltre, l’eau transporte les hommes et les marchandises, l’eau bleue comme la terre, l’eau dont nous sommes faits. « Les mutations urbaines s’opèrent au bord de l’eau », dit l’architecte marseillais Roland Carta, selon qui « les idées circulent plus vite sur l’eau que sur terre. Le Marseillais que je suis se sent plus près de l’Andalousie que de la Flandre ! » L’eau en question, aussi.

Comment urbaniser, aménager, le long des littoraux et des fleuves ? Les réponses diffèrent. Aux Pays-Bas, la ville nouvelle d’Almere (7 mètres en-dessous du niveau de la mer), près d’Amsterdam, s’engage dans un ambitieux projet d’habitat flottant. Une initiative qui ferait défaillir les services de l’Etat français. La difficulté à composer avec l’eau dans le département du Gard, comme le décrit Vincent Delorme, en atteste. Joan Busquets, par ailleurs urbaniste en chef de la Ville de Toulouse, et Robert Crauste apportent un élément de réponse, dans la construction de quelque 500 logements dans une dent creuse du Grau-du-Roi.

Ce même Joan Busquets bluffe la salle, et moi en premier, en projetant sur l’écran une double-page d’un Paris-Match des années 60, présentant les futures stations du littoral du Languedoc-Roussillon, imaginées à l’époque par la mission d’Etat Racine. Mais où a-t-il donc déniché cette perle ? Le média de l’époque présente les stations à bâtir comme des villes totalement futuristes, projetées vers l’an 2000, promesses d’un hédonisme nouveau et d’un tourisme triomphant. Aujourd’hui, il faut les réhabiliter et les déringardiser. Comme quoi, tout est relatif.

François Leclercq décrypte des projets méditerranéens, tous en prise avec l’eau, à Malaga, Montpellier, La Grande-Motte (projet Ville-Port), Marseille ou Nice. Sur cette dernière opération (600 000 m2 à terme), l’urbaniste doit prendre en compte une digue contenant le Var, et qui peut rompre en cas de crue exceptionnelle. L’intégration du risque requiert des étendues vertes et des systèmes de rétention, pour absorber les eaux. Sylvain Pioch divulgue une série de chiffres assez effrayants, mais avec une rigueur scientifique implacable, sur les impacts du changement climatique, en matière de montée des eaux, d’inondations, de sécheresses… « L’Europe a un coup à jouer, en matière d’innovation pour trouver des solutions en matière de résilience, d’aménagement, d’habitat flottant etc. », analyse-t-il.

Innovation peu écologique : à Monaco, c’est six hectares qui vont être gagnés sur la mer, à travers le projet pharaonique de l’Anse du Portier. On est là sur une dimension dantesque. Les prix de vente des logements bâtis sur cette protubérance terrienne oscilleront entre 50 000 et 100 000 euros le… m2. Une villa pourrait se vendre à plus de 300 millions d’euros ! Alors que les travaux vont commencer, des oppositions vives d’écologistes sont à prévoir. François Migeon lui-même (pourtant mandaté pour penser l’éclairage du futur site) interroge cette opération, « qui va amener une ville à changer son rapport à la mer », le front de mer actuel étant appelé à être relégué au second rang. En tant que plasticien lumière, il parle aussi à merveille de la manière de magnifier l’eau, justement en ne l’éclairant pas, ou le moins possible, pour laisser parler la beauté des reflets de la lune sur sa surface. Tous, d’ailleurs, en parlent avec amour et déférence, « comme d’une amie complexe, voire d’une maîtresse exigeante », relève Agnès Jullian, PDG de Technilum, initiatrice de ce rendez-vous annuel « Heureuses Coïncidences » en 2008.

Tout en buvant de l’eau plate entre les tables rondes, j’ai eu le plaisir de coanimer les débats avec Hermine Bertrand, jeune architecte basée à Copenhague, et auteur d’une thèse sur l’habitat flottant. « L’habitat flottant commence par du récréatif, comme des hôtels, puis on y loge des étudiants, et ensuite des familles et des entreprises », analyse-t-elle avec son regard nordique. C’est le parcours que semble prendre, pour l’instant timidement, l’Occitanie, à travers l’appel à projets dédié du Plan Littoral 21, avec un projet d’hôtel flottant à Fourques (Gard, à côté d’Arles), de résidence étudiante sur un canal de Sète, face à la gare (portée par le groupe Hugar) et de logements et de pépinières d’entreprises dans le port de Gruissan (Aude) et sur le fleuve Hérault à Agde (Hérault). Eau d’avenir et ode à venir !