Churascaia. On prononce « chouraiscailla ». Ou, pour les plus fidèles, « la chou ». Cette bodega gardoise, entre ciel et taureaux, a fait guincher et rêver des milliers de fêtards, depuis son ouverture, en 1965. Alors qu’elle meurt encore une fois, avec l’annonce d’une énième « fermeture définitive » en novembre, le magazine Tsugi lui brosse un portrait sublime – bit.ly/1eGs2Xh. « La Churascaia, c’est d’abord une histoire de demi-tours : ceux que l’on effectuait sur la départementale 58, entre Aigues-Mortes et les Saintes-Maries-de-la-Mer, à la recherche de ce fichu chemin entre roseaux et roubines, relate Eric Delhaye. Au bout : une pinède, un porche taillé dans un cube blanc, une hacienda ibizenca devenue le point de ralliement des jeunes et moins jeunes, ‘piches’ et ‘cagoles’*, hétéros et homos, VIP et commerçants, gardians et travestis, gendarmes et voyous, venus écouter Richie Hawtin autant que Philippe Corti. Comme le FC Barcelone, la Churascaia fut més que un club : plus qu’un club, affirment en choeur les témoins de cette épopée. » Un bijou d’hommage, à relire chaque jour de déprime, déjà « liké » lundi matin par 6 500 personnes sur Facebook.

La Churascaia, un cabaret dément, sans code ni limite, temple de toutes les démesures. J’y ai vu une personne se briser la cheville en dansant, être accompagnée aux urgences à Nîmes se faire plâtrer et revenir, trois heures plus tard, béquilles en mains, sous les vivats déchaînés et les appels à la tournée générale. Véridique. Pas d’heure de fermeture : le before, le pendant et l’after dans un lieu unique. Pas de carré VIP non plus, rappelle à juste titre mon confrère. Les demoiselles élégantes, la pétasse de base, le cadre en chasse, les bandes de potos et les « pipoles » glamour (Henry-Jean Servat&co) s’y côtoient sans se juger. Un cocktail musical inclassable, de Régine à Daft Punk, sans transition.
La magie du lieu, baigné de lumière au petit matin, opère à fond. Combien de bambins dont les parents sont tombés amoureux dans la nuit des gardians ? Des bébés Chou, en quelque sorte. J’en connais deux – non, ils ne sont pas de moi. Le seul inconvénient, en fait, c’était l’éloignement. Sur la ligne droite de Carnon, il est heureux qu’on n’ait pas dévié, au petit matin, dans le canal du Rhône à Sète. La Chou renaîtra, c’est écrit. Comme dit un copain sétois : « dans la vie, seules deux choses comptent : faire la fête et des enfants ». Saine philosophie.

* pour les non-initiés : les piches sont des villageois incultes et vulgaires résidant dans le Languedoc, les cagoles étant leurs homologues de la région Paca.