Rien à faire. Ses coureurs ont beau se doper jusqu’à la moelle et certains sortir de la route bien plus tôt que prévu*, et on a beau le savoir, le Tour de France reste une incroyable machine à rêves. Une allégorie de la vie, cette grande et belle étape de montagne. Un patrimoine national inaliéniable, à l’instar de l’autre Tour (Eiffel), des croissants chauds et des vieux Gainsbourg. Tour de France, comme parfum d’enfance : quand j’étais chiard, mon père me racontait le duel Poulidor/Anquetil sur les pentes brûlantes du Puy-de-Dôme. La famille, paraît-il, suivait ça religieusement devant l’écran noir et blanc. C’était l’époque où le Puy-de-Dôme était encore flanqué d’une route, et où les Français ramenaient le maillot jaune à Paris. A mon tour, je raconte à mon fils l’épopée de l’édition 1989, qui a vu Laurent Fignon perdre, le dernier jour, face à l’Américain Greg LeMond, pour huit foutues secondes. Pour 100 mètres, sur 3 000 kilomètres, après trois semaines de lutte acharnée.

Tour de France, comme vacances, insouciance, transhumance. Le temps desserre son étreinte. On en vient même, sans trop savoir pourquoi, à sympathiser avec des Allemands tout rouges ou des Belges en caravanes. Le Tour, un événement mondial à lui tout seul, bien calé sur le podium, entre coupe du monde et Jeux Olympiques. L’agence de tourisme la plus astucieuse jamais créée – et vas-y que je zoome sur la cathédrale machin ou la forêt bidule quand le peloton s’endort. Un spectacle de bitume, totalement gratuit, bien gras et populaire comme on aime, genre Kiabi/Monoprix. Pas de bobos des villes dans les lacets de l’Alpe-d’Huez.

Une trouvaille toujours jeune, alors que la 100ème bougie est soufflée samedi, à l’occasion d’un nouveau départ, donné pour la première fois en terre de Corse – il était temps ! Le Tour, ce vieillard céleste qui passe tel un souffle devant notre porte. Un tube bien rôdé, diffusé dans 190 pays, drainant 2 300 journalistes de 35 nationalités, et muse des plus belles plumes – Albert Londres, Antoine Blondin, André Pousse, Éric Fottorino. Ce n’est pas tant les forçats de la route que des millions de personnes viennent applaudir comme un seul homme, mais plutôt l’effort déjà fait et à produire, le dépassement de soi et, quelque part, le désir de repousser nos propres limites.

* Pour ne citer qu’eux : Philippe Gaumont (mort à 40 ans en 2013), Marco Pantani (mort à 34 ans en 2004), Laurent Fignon (mort à 50 ans en 2010), Fausto Coppi (mort à 40 ans en 1960), Jacques Anquetil (mort à 53 ans en 1987).