Ils l’ont fait. Leur premier titre international de football, après tant d’échecs rageants, souvent injustes. Déjouant tous les pronostics. Défiant la France, chez elle, alors que l’Hexagone était prêt à exulter tout rond, comme en 1984, comme en 1998, comme en 2000. Comme si c’était déjà fait. Incorrigibles Français.

Ils l’ont fait, et j’ai presque réussi à être heureux pour Dominique Silva, mon pote de Montpellier d’origine portugaise, gérant de bars (Le 8, Le Foch). Les Portugais n’ont certes pas livré un beau championnat d’Europe. Trois matchs nuls poussifs en poule, une victoire au bout de la prolongation contre la Croatie, puis aux tirs aux buts face à la Pologne. Un style défensif et âpre, une organisation militaire, un gardien en état de grâce et au final, une victoire aux allures de hold-up, au bout de la nuit dionysienne, au cœur de la région francilienne, qui est aussi la première communauté portugaise du monde.

Ceux qui ne connaissent pas le football avaient déjà mis le champagne au frais. Toutes les planètes étaient alignées. Les Bleus gagnaient les compétitions qu’ils accueillent : l’Euro 84 avec Platini, le Mondial 98 avec Zidane. « Jamais deux sans trois, chez nous, nous sommes presque invincibles », déclarait le Premier ministre Manuel Valls, avant le match, sur les ondes. Aïe, la phrase à ne pas dire, à même de déclencher tous les vents contraires… Autre argument dans le camp des optimistes : la France était la bête noire des Portugais. Depuis 1984, en effet, les Bleus totalisaient huit victoires et deux nuls face aux Lusitaniens. Parmi elles, trois demi-finales de grandes compétitions (Euro 84 et 2000, Mondial 2006). Le dernier succès de la Seleçao remontait au… 26 avril 1975. Par ailleurs, lors de son Euro 2016, la France affiche la meilleure attaque (13 buts) et le meilleur buteur, également sacré joueur du tournoi (Antoine Griezmann, 6 buts). Et quand, en début de match, le Portugal perd Christiano Ronaldo, son meilleur joueur, sur blessure, on se dit que la partie va virer à la formalité administrative.

Les amateurs de foot savent qu’il n’en est rien. Les Tricolores de Deschamps ont poussé, ont eu des occasions, n’ont pas démérité, dans un match tendu et fermé. Dominer n’est pas gagner. Toutes les tentatives se sont heurtées à Rui Patricio et Pepe, gardien de but et défenseur central du Portugal, tous deux tout à fait invincibles pour le coup. Sauf à la toute dernière minute du temps réglementaire, quand André-Pierre Gignac, entré à la place d’Olivier Giroud à l’avant de l’attaque, trompe enfin leur vigilance, mais son tir s’écrase sur le poteau, avant que le ballon, comme guidé par une main invisible, ne revienne en jeu mais n’échappe à Griezmann. Même si le score était toujours de 0-0, les Dieux du football avaient alors choisi leur vainqueur et leur perdant, et les 22 joueurs l’ont tous senti. Pour trois centimètres, ce maudit ballon rentre et la joie absolue de deux peuples change de camp. Les prolongations furent la suite logique, Eder crucifiant les rêves de nos gosses d’une maître-frappe. Une revanche sur l’histoire, les Portugais ayant perdu « leur » Euro, en finale à Lisbonne en 2004, face à un pays que personne n’attendait (la Grèce), tout comme personne ne les attendait hier soir.

C’est le football. Beau et cruel. On l’aime et on l’aimera pour ça. La France perd sur un ensemble de choses. Manque de fraîcheur physique, match joué avant dans la tête dans un hôtel bunkerisé, équipe un peu jeune encore, médias trop dithyrambiques alors que la prudence s’imposait, portier adverse infranchissable. Un groupe talentueux et sain, mais un poil trop gentil, manquant de vice et de caractère. « Il faut savoir accepter les défaites et en sortir grandis », résume Moussa Sissoko, de loin le meilleur Bleu hier soir. Cap sur la coupe du Monde 2018 en Russie. Pour trois centimètres sur une frappe à la 92ème minute, un soir de 10 juillet 2016, tout le monde dirait qu’on va la gagner.