David contre Goliath, en mode journalisme économique. L’histoire de l’attribution, par le syndicat mixte Autolib’ Vélib’ Métropole, des Vélib’2 pour la période 2018-2032 (marché de près d’1 Md€) est inattendue : l’offre de JCDecaux, ses 3,4 Md€ de chiffres d’affaires et ses 13.000 salariés, soutenu par la SNCF et la RATP, est jugée moins convaincante que celle du consortium Smoovengo. Ce dernier est mené par Smoove SAS, une start-up petitoune de Saint-Gély-du-Fesc (à côté de Montpellier, avec un bureau d’étude à Oullins, dans le Rhône) et de 38 salariés (CA 2016 : 9 M€, quelle honte), aux côtés de Marfina SL, Indigo Infra SA et Mobivia Groupe.
Le dispositif de vélo en libre service à Paris représente à ce jour 315 salariés, 300.000 abonnés longue durée, 40 millions de trajets par an et plus de 300 millions depuis le début du service, voici dix ans.

Dans un communiqué très offensif, diffusé en plein week-end, intitulé « Vélib : une décision troublante » et où est affichée sa puissance financière avec une série de chiffres montrant des positions de leader, dans tout plein de domaines (mobilier urbain, publicité dans les transports, affichage grand format, communication extérieure…), la multinationale tricolore JCDecaux « s’étonne de la décision de la commission d’appel d’offres du syndicat Autolib’ Vélib’ Métropole. Sa première réaction est avant tout humaine. Elle va vers les 315 femmes et hommes qui font, depuis 10 ans, le succès de Vélib’ (…). En effet, malgré les demandes réitérées du Groupement JCDecaux/RATP/SNCF tout au long de la procédure, il n’a pas été prévu de reprise de plein droit des équipes par le nouvel exploitant. JCDecaux mettra tout en œuvre pour l’obtenir. JC Decaux se dit d’autant plus surpris de la décision reçue le 31/3 qu’il a obtenu la meilleure note sur tous les critères de notation non financiers, c’est-à-dire le critère exploitation, entretien, maintenance du dispositif, communication institutionnelle, suivi du service et le critère conception, fabrication et déploiement du système. Son concurrent ne l’emporte donc que sur le critère du prix. (…) Le groupement s’inquiète que cet écart se fonde sur un dumping social, avec une proposition excluant la reprise de l’ensemble des personnels et reposant sur de nouvelles équipes inexpérimentées, moins nombreuses et à des conditions sociales et salariales dégradées. » Il examinera ces éléments avec la plus grande attention « avant d’en tirer les conséquences juridiques qui s’imposent ». Toujours sympas, les grands groupes, dans les conclusions de leur communication de crise, on a envie de boire des coups avec eux.

Bien que toute jeune, la PME héraultaise Smoove, créée en 2008 par Laurent Mercat et ses deux frères, fournit déjà ses solutions à 26 villes dans le monde (Moscou, Helsinki, Marrakech, Chicago…), dont une douzaine en France. Smoove gère actuellement plus de 715 stations vélos, 8.800 vélos en libre-service et 13.000 vélos de location longue durée.

Plusieurs confrères reviennent en détail sur les avantages concurrentiels de Smoove : innovation technologique, systèmes anti-vol, légèreté d’installation des stations… (une brillante synthèse ici : bit.ly/2o34zNO). Bref, limiter le succès de l’offre de Smoove à du dumping-dopage (pour filer la métaphore cycliste) social semble réducteur. « JC Decaux est mauvais perdant », glisse un collègue des Échos. « Laurent Mercat ne communiquera pas ce lundi. Le marché n’est pas encore attribué. Ses équipes craignent un piège tendu par JC Decaux : la virulence du communiqué serait en fait destinée à les faire réagir, pour les pousser à la faute juridique », me confie, en début d’après-midi, une agence parisienne en charge des relations presse de Smoove. Virulence qui est aussi destinée à prévenir d’une chute du cours de l’action lundi matin, gamelle qui a bel et bien eu lieu (- 4 %). Et pendant ce temps, et on le répète par cœur tous ensemble, les premières pensées de JC Decaux, qui parle de lui à la 3ème personne, vont naturellement aux « 315 femmes et hommes qui font, depuis 10 ans, le succès de Vélib’ ».