Pure fiction. Fermez les yeux. Imaginez des rédactions aux ordres des politiques dont elles sont censées pourfendre les menus et grands écarts. Tout en allant de fausses polémiques en airs bravaches, avec des Une pseudo-accrocheuses : « il est corrompu, elle est nulle » (rarement dans l’autre sens, bizarre), « Salaud de Poutine », « La France libre contre Daech »…

Cauchemardez une France frappée par des attentats sans précédent, avec 150 morts et des centaines de blessés. En réaction, un débat débile portant sur la déchéance de nationalité pour les terroristes binationaux. Enième leurre de communication de gouvernants aux abois, comme un linceul de cynisme sur les corps déchirés.

Projetez des chaînes d’infos en continu, à dessein animées par des journalistes qui pourraient (presque) être mes enfants, maniant la peur et la violence comme armes et larmes d’Audimat et de contrôle des cerveaux. Avec des clichés dégueulasses de cadavres (d’enfants si possible) en gros plan, parce que, hein, faut faire comme aux Etats-Unis, où ils nous voient pourtant comme un continent annexé et vieillissant.

Supposez un lectorat noyé de newsletters, d’alertes à la sauce commerciale, de flashs, de fils intox, de réseaux sociaux décérébrants et addictifs, de revues de presse…, le tout diffusé sans certificat de qualité ni hiérarchisation. La plupart de ses supports sont gratuits, tout au mieux à prix cassés. Voilà qui donnerait de bien mauvaises habitudes. D’une part, parce que ce système pervers étiolerait des esprits censés diriger et impulser – esprits qui se croiraient de plus en plus informés, alors qu’ils le seraient en réalité de plus en plus mal. D’autre part, parce que les rares titres de presse qui joueraient la carte de la qualité, de la rigueur obsolète, d’une certaine esthétique, sortiraient des écrans radar, promis à une lente agonie. Ce magazine représente 300 heures de travail, avec des enquêtes poussées, claires, concises, exhaustives et inédites, vous me dites ? Ah non je n’ai pas vu ni lu, et pour cause : il n’est pas gratuit !

Songez un instant vivre dans un monde où les médias incarneraient leur pire ennemi, en succombant de façon inexplicable à l’autocensure, en surjouant des indignations téléguidées par une caste d’intouchables, et en ne prenant dans leurs rangs que des gens de la haute, tous issus des mêmes écoles, des mêmes grandes villes éclairées.

Souriez à l’idée de conférences de presse où les journalistes arriveraient en retard. Ils les traverseraient en baillant et en repartiraient repus, après la collation offerte par le puissant service de communication, composé à 50 % d’anciens journalistes.
Vous pouvez rouvrir les yeux à présent. Rien de ce mauvais scénar en 2016, rassurez-vous. Reprenez vos activités quotidiennes. 10 tweets et 5 statuts Facebook de ratés, c’est malin tiens… Allez, bonne année ! Avec les yeux bien ouverts.