J’exerce un métier merveilleux et vais vous expliquer pourquoi. Pour produire de la bonne info, il faut, par définition, digérer un nombre incalculable (et croissant) d’infos. Car les émetteurs sont protéiformes, et toujours en forme – ça rime : e-mails, SMS, appels au téléphone, interactions à l’ancienne (en se parlant pour de vrai), surveillance névrotique des posts sur les réseaux sociaux, des annonces légales, des délibérations, des rapports, des permis de construire, des autorisations administratives etc ; éléments recueillis lors d’un reportage ou en scrutant la production de mes confrères. Et j’en passe. Un robot bien paramétré pourrait accomplir un bon nombre de ces tâches, et une intelligence artificielle vaguement avancée rédiger des textes publiables. Cela arrivera, je pense, bien plus vite que nos intelligences pas artificielles ne l’imaginent.

Dans les flux, que et qui croire ? Informer n’est pas gouverner, mais c’est quand même choisir. Les signaux reçus décrits ci-dessus se décomposent en quatre familles. D’abord, les gentils, amicaux ou inoffensifs, mais dont les contenus ne collent pas avec la ligne éditoriale. Corbeille. La 2ème tribu mérite traitement, sans investigation supplémentaire, car à faible valeur ajoutée. Action, en dimensionnant l’effort. Le 3ème ensemble est agaçant. On ne sait pas bien s’il faut traiter ou pas, et si oui, s’il y a caractère d’urgence. Plusieurs explications : manque de clarté de l’émetteur, fatigue du récepteur, doute quant à la vraie nouveauté de l’info sous l’emballage marketing. Lisière avec la pub et la communication corporate/institutionnelle. À vérifier pour en avoir le cœur net. Et enfin, famille peu nombreuse mais très rigolote, celle de l’info sensible. En amont. Stratégique. Celle qu’on ne lit nulle par ailleurs. Faut-il la sortir, au risque de se « griller » auprès de sources précieuses ? Mais ne pas la publier, n’est-ce pas, d’une part, ne pas la porter à la connaissance de ses lecteurs et, d’autre part, prendre le risque de la voir surgir ailleurs, sous peu ? Encourt-on un droit de réponse, voire un procès ? Le risque se pèse au gramme près, avec des unités de mesure éminemment subjectives. Le prendre comme un jeu, malgré l’enjeu.

Il arrive, souvent, qu’une personne mécontente appelle, une fois l’info parue. Règle 1 : ne pas s’énerver. Règle 2 : ne pas s’énerver. Règle 3 : centrer l’interaction sur la question clef : « L’info est-elle erronée, ou sa publication est-elle gênante ? » Et, en fonction, faire amende honorable ou garder la main. Si c’est béton, c’est béton. Règle 4 : un « off » avait-il été dealé avant, ou pas ? Règle 5 : sentir l’état d’esprit de l’intéressé (non, je ne me convertirai pas à l’écritur-e intuitiv-e) au bout du fil. Car certains excellent dans l’art de la manipulation. Vous affirmant d’une voix claire que votre article (pourtant rédigé avec rigueur) compromet des dizaines d’emplois, qu’il est bourré d’erreurs, qu’il faut le « supprimer du site » (sic) etc. Rapport de force. Ne pas céder, a fortiori si le point 3 est favorable. Avec ce mantra : ce n’est pas parce que quelqu’un vous dit qu’il est fâché, qu’il est fâché. Il peut très bien jouer un rôle pour vous faire plier, et obtenir gain de cause. Détacher la parole du but qu’elle poursuit.

Mais il surgit parfois de vraies et saines colères, chez des gens qui ont trop parlé, par naïveté, car moins rompus aux médias. Dans ce cas, écouter, et négocier, même s’ils ne maîtrisent pas du tout les points 1 et 2. On est durs à la tâche, mais pas des brutes. Règle 6 : évaluer, quand même, la capacité de nuisance du mécontent, quel que soit le sérieux de l’info. Au moins pour sortir le parapluie. Bref, beau maelström perpétuel, pétri de vents contraires et de signaux cryptés. Et, pour ma part, une devise plus efficace qu’un anxiolytique : toujours honnête, pas toujours parfait.