Déjà, quand j’étais gosse, entre chute du mur de Berlin, libération de Mandela et même pas Internet, on me serinait à longueur de journée : « vu ce que tu as foutu en première et terminale, je ne vois pas comment que tu auras ton bac. Ne parlons même pas d’une mention. » Plus tard, sur les bancs de la fac de Lettres : « tu suis des études faciles, qui ne mènent pas à grand chose. Une usine à chômeurs. » Ensuite, lorsque l’envie m’est venue de faire de l’information un métier, et voyant le taux de réussite famélique (environ 5 %) aux concours d’entrée des écoles de journalisme, j’investis mes économies de jeune héritier dans une piaule à Paname et l’inscription à une prépa privée – une « boîte à fric, ton truc ».

J’ai malgré tout intégré, à ma grande surprise, le Centre de Formation des Journalistes (CFJ) – ils devaient avoir un quota de Sudistes à tenir. Démarrant ensuite ma carrière en province – pire : à Montpellier -, alors que le CFJ se veut génétiquement parisien et national, les camarades de promotion se levèrent comme un seul homme : « 25 ans, c’est jeune pour s’enterrer… », auraient-il liké sur Facebook entre eux, si Facebook avait existé. Et lorsque mon choix se porta sur un petit canard éco indépendant, pour démarrer en sur-smic, l’opprobre fut unanime. « comment un aussi petit journal fait donc pour fonctionner ? (…) », ou, mieux, « ce n’est pas un journal ».

Etant devenu, à force de labours et de manœuvres quasi-militaires, le rédacteur en chef adjoint de ce non-journal, des portes s’ouvrirent : piges pour l’AFP, et correspondance des Echos. « Ca te fait trop de choses. Tu n’y arriveras jamais », entonna l’armée des ombres.
Aujourd’hui, prenant parfois le micro pour animer un forum ou séminaire éco : « tu bouffes à tous les râteliers », « je t’ai vu à l’oeuvre avant-hier, tes vannes sont tombées à plat », persiflent ceux que l’on ne voit jamais, naturellement, dans pareil exercice.

Les défis de demain, qui vont me faire et toulousain et montpelliérain, s’inscrivent dans la lignée. « Il te faudra choisir », « tu ne peux pas avoir le beurre et l’argent du beurre ». Grand merci – car il agit tel un moteur – au peuple de mes détracteurs. Merci doublé d’un message confidentiel : quand, gamin, on a accompagné, seul et pendant six ans, un proche vers la tombe, on a le cuir tanné, l’esprit cynique et l’énergie renouvelable. Et à chaque nouvelle marche, une voix lointaine vient susurrer fidèlement au gamin devenu grand : « tu y arriveras, mon fils ».