Il est loin, le temps des jardins secrets, de l’ex-ORTF (office de radiodiffusion – télévision française) et d’un président de la République* à la double-vie et à la maladie tenues secrètes, alors même que le tout-Paris médiatique détenait l’info. En off. En quelques années seulement, les réseaux sociaux ont bouleversé la donne. Ils sont devenus « des tribunaux révolutionnaires où chaque citoyen devient une sorte de juge qui va vous imposer cette pudibonderie qui se développe », analyse Olivier Babeau**, président de l’institut Sapiens et auteur d’Éloge de l’hypocrisie (Éditions du Cerf).

Bien sûr, poursuivre en justice l’ancien ministre du Budget Jérôme Cahuzac comme un délinquant démontre la vitalité d’une démocratie. Les plus puissants peuvent tomber. Bien sûr encore, lors de périodes sensibles, de catastrophes ou d’incidents graves, la communication de crise exige de la transparence. Il faut saluer en ce sens les heures sup’ d’Agnès Buzyn, ministre de la Santé, pendant la canicule estivale. Sa présence s’imposait. Bien sûr enfin, préciser que le sénateur américain John Mac Cain est décédé d’un cancer au cerveau incurable, et non pas d’une longue maladie taboue. Je suis journaliste : forcément, je cherche à nommer les choses, dussent-elles procurer de la peine ou ne pas faire plaisir.

Mais vouloir savoir ne signifie pas devoir tout dire. L’équipe de communication d’Emmanuel Macron a ainsi jugé utile, en mai 2017, lors de l’une de ses premières sorties présidentielles, de divulguer le prix du costume du chef de l’État, ainsi que le nom et l’adresse de son tailleur. Un artifice de com’ franchement pathétique, davantage utilisé pour moquer les politiques du supposé ancien monde et pour montrer que l’on se croit vraiment super malin, plutôt que dans le dessein d’informer les citoyens.

Quelques exemples d’emballages à mon sens disproportionnés – on atteint bien les trois transes par an, et le rythme s’accélère. L’affaire Benalla. Franchement. Tout ça pour ça. La France s’emmerde. Je connaissais, à Paris, le cirque d’hiver, mais pas le cirque d’été. D’accord, une période où l’on n’a rien à se mettre sous la dent dans les rédactions. Puissent, tout de même, les médias s’emparer avec le même appétit de sujets moins « à clics » (sujets générant des buzz sur Internet).
Née en octobre 2017, la campagne virale sur Twitter de #Balancetonporc a soulevé un vrai et nécessaire enjeu de société : les violences faites aux femmes. Mais elle a aussi jeté en pâture des noms d’hommes, sans preuve de leur culpabilité et alors que la plupart n’était visé par aucune procédure judiciaire.
Dix-huit mois après avoir été lui aussi balancé, où en est l’affaire Fillon, candidat LR mis en examen à la vitesse de Kylian Mbappé pendant la campagne présidentielle de 2017 ? On ne sait pas. Soufflet aussitôt retombé. L’émotion prime dans les prime. « Un des griefs que j’ai à l’égard de la transparence, c’est que ça vise à nous dispenser de tout effort, de toute recherche, de toute investigation, décrypte Thierry Derez, PDG de Covéa**, un des premiers groupes d’assureurs en France (GMF, Maaf, MMA…). En gros, d’être totalement passif. Et être passif, j’ai beaucoup de mal à penser que ce soit quelque chose de flatteur pour l’humanité. »

D’autant plus que la transparence, parée de toutes les vertus, a bien des défauts. Elle n’empêche pas les secrets d’État bien gardés, les arrangements, ou autres scandales politico-financiers ou de santé publique. Elle sécrète des butinements adolescents, qui empêchent la conscience collective de se fixer sur les enjeux certes « tristes », mais fondamentaux.

Plus tragique encore : la transparence est illusoire. Au quotidien, l’hypocrisie rythme les relations sociales, depuis toujours. Tenez-vous le même discours sur les gens – famille, amis, collègues etc. – face à eux et une fois qu’ils ont fermé la porte ? Vraiment le même ? Mon œil. Toujours plus pervers : celui qui dit qu’il communique tout ne communique pas forcément tout, et ce qu’il communique peut faire office d’écran de fumée pour masquer l’essentiel. Sur ce, et en toute transparence, je vais faire pipi.

* François Mitterrand (1916-1996).

** Citations issues de « Sous les pavés 2018 », www.francetvinfo.fr. Merci à Troll de Nogent-sur-Marne pour la veille !