Le dernier bilan* des précipitations qui ont touché le département de l’Aude dans la nuit du 14 au 15 octobre et ce lundi matin fait état d’au moins 12 morts – principalement des personnes âgées, surprises par la montée des eaux dans leur sommeil – et huit blessés graves. La ville de Trèbes a payé un lourd tribut, avec sept décès. 300 mm de précipitations y sont tombés en quelques heures, soit l’équivalent de cinq mois de précipitations. Le fleuve Aude a enregistré une crue record de plus de sept mètres : du jamais vu depuis 1891. Deux décès sont à déplorer à Villegailhenc, près de Carcassonne. Certains villages (Pezens, Trèbes, Villegailhenc, Villemoustaussou) ont été évacués. Le département est toujours classé en vigilance rouge. Moralité : on est peu de choses.

Côté entreprises, équipements et infrastructures, les dégâts seront aussi conséquents (plusieurs 10 M€ a priori). Des dizaines d’hectares de terres agricoles et viticoles sont submergés. Des centaines de véhicules et poids lourds sont enlisés ou ont été emportés par les flots des rivières en crue. Des pans entiers de routes ont parfois été arrachés. Le Premier ministre Edouard Philippe s’est rendu sur place lundi après-midi pour mesurer l’ampleur des dégâts, échanger avec les sinistrés, annoncer une accélération de la procédure de catastrophe naturelle et garantir qu’il « a mis la pression sur la fédération des assurances ». Lesquelles vont commencer à réfléchir à leurs contrats, dans des départements frappés par les effets du réchauffement climatique – pluies plus violentes, submersion martine, sécheresse… Emmanuel Macron est annoncé mardi dans l’Aude. Il sera probablement interpellé sur le système de prévention, d’éventuels défauts d’information et le timing du déclenchement de l’alerte rouge – déclenché lundi matin à 6h, alors que plusieurs villages étaient déjà sous les eaux. « C’était imprévisible et totalement insurmontable », a rappelé avec bon sens Éric Menassi, maire de Trèbes, commune déjà marquée par un attentat le 23 mars, au Super U. Insurmontable, oui et non : la culture de la prévention peut être améliorée, grâce à des sociétés spécialisées performantes (comme Predict Services), la clef en la matière étant la clarté des messages, et la répétition des bonnes pratiques, dès l’école. Combien de naufragés risquent leur vie, faute de savoir quoi faire ? Il faudrait aussi modéliser différemment les systèmes de vigilance, et passer des départements à un échelon infra-départemental, qui parlera davantage à tous. Mais je m’égare. Le remaniement du gouvernement engloutira l’Aude, façon buzz. Moralité : une info chasse l’autre.

Avec 39 % de la population et 51 % des emplois en zone potentiellement inondable, l’Aude vit avec les inondations. Le bilan humain de ces intempéries vient rappeler les dramatiques inondations des 12 et 13 novembre 1999 : 25 morts, 200 000 personnes sinistrées et 610 M€ de dégâts. Un gros effort financier a été mené par plusieurs financeurs (Région Occitanie, Europe, État, Département de l’Aude, agglomérations concernées) lors du premier programme d’actions de prévention des inondations (PAPI), avec 81 M€ injectés sur la période 2006-2014. Le second PAPI, signé en octobre 2015, prévoit 49 M€ d’investissements (travaux en cours) : 29,2 M€ pour les actions de prévention des inondations et de 20 M€ pour les programmes pluriannuels de gestion des bassins versants. Des travaux très divers, en cours de réalisation : construction de digues, recalibrage des cours d’eau, bassins de rétention, suppression de certains piliers de ponts pour fluidifier le débit…
Ces opérations d’envergure ne peuvent pas tout régler à elles seules. Certains villages, comme Villedaigne, sont entièrement inondables, « pour des raisons historiques, précise son maire, Alain Péréa, par ailleurs député LREM de l’Aude et membre de la commission mixte des inondations au niveau national. Le village a été construit en ce point bas car c’était le passage à gué de la rivière Orbieu ». Moralité : même à coup de grands (et nécessaires) travaux, le miracle du risque zéro reste illusoire.

Le député s’agace par ailleurs de la difficulté à mener certains travaux. « Aujourdhui, il y a des inondations meurtrières, alors toute la France en parle. Mais en temps normal, les lois liées à l’environnement restent extrêmement compliquées. » Une source de la Région Occitanie renchérit : « Entre les investigations géotechniques, la mobilisation des financements, les appels d’offres aux entreprises, et des travaux très encadrés par l’Etat (de telle date à telle date, interdiction de procéder à des travaux pour ne pas déranger telle ou telle espèce…), c’est toujours très long. Entre le moment où une collectivité décide, et où les travaux démarrent, plusieurs années s’écoulent. » Moralité : c’est bien beau de s’apitoyer, face caméras, face au chaos, mais rappelons qu’en temps normal – le temps invisible des réunions interminables, des règlements environnementaux tâtillons, des montages de financements croisés et des dossiers à remplir -, construire une pauvre digue relève du parcours du combattant administratif.

* Sources : préfecture de l’Aude et AFP. Actualisé le 15 octobre à 20h30.