Un journaliste ne devrait pas écrire ça. Mais c’est bien, pour le mois à venir, la question-phare qui va peupler mes jours et soirées. C’est irrationnel, universel, passionnel. Les doubles des albums Panini. On découvre (soyons francs) des drapeaux de pays improbables en collant les images. On ne peut pas ne pas regarder la Coupe du monde. Plus rien d’autre n’a vraiment d’importance.

Parce que tout le monde sait (non : peut) jouer au football, n’importe où, avec n’importe qui. Parce que tout le monde se rappelle ce qu’il faisait le 12 juillet 1998, date inscrite dans le récit national. Nous étions connectés, dans la rue, les bars, les fontaines, les uns aux autres, sans smartphones ni réseaux sociaux. Et c’était sympa, cette nudité numérique. Un ascenseur émotionnel. Vécu aussi de l’intérieur : quelques jours plus tard, le milieu de terrain Emmanuel Petit est allé, pour la première fois, se recueillir sur la tombe de son frère, en Normandie. Le manager, Aimé Jacquet, passé en sept matches de « brave type » méprisé ouvertement par le quotidien L’Équipe à Dieu du stade, dit, quant à lui, ne pas se souvenir de l’après-match. Immense décompression. « J’ai eu peur de ne pas avoir salué Mario Zagallo (l’entraîneur brésilien) au coup de sifflet final. Heureusement, en revoyant les images, je me suis vu lui donner l’accolade », confie-t-il aujourd’hui.

Il y a beaucoup d’argent – et la Coupe du monde en Russie battra en l’espèce tous les records de dépenses publiques, Poutine cherchant dans cet événement un vecteur de « soft power » -, beaucoup de corruption au royaume de la FIFA et, certainement, de dopage chez les protagonistes. Mais il y a tellement de joie. Tellement de VIP mais, en même temps, cette absence momentanée de barrières en cas de liesse populaire. Plus de religion, de couleur de peau, d’âge, de condition sociale. Un grand et intense brasier d’innocence.

Parce qu’on ne sait jamais qui va gagner à la fin – même si on sait qu’une fois encore, l’Angleterre perdra après y avoir étrangement cru. Parce qu’on y était. Parce que ces séances de tirs aux buts, au bout de la nuit, avec des joueurs, livides, seuls sur scène, allant exécuter un geste technique soi-disant simple. Ceux qui connaissent le football savent à quel point il est, en réalité, si difficile, ce geste, avec la pression, 120 minutes d’efforts, un peuple qui pousse, et tes copains derrière, dans le rond central, qui prient. Parce que, sportivement, le football a livré cette année des scénarios dantesques en Ligue des Champions – l’éclosion de l’Égyptien Mohamed Salah à Liverpool, le match retour Real Madrid / Juventus de Turin où les Italiens ont tutoyé un fol exploit, l’élimination surprise du Barça par la Roma (1-4, 3-0). On espère rester dans cette dynamique. D’autant plus que la Coupe du monde est une naïade exigeante : elle ne revient que tous les quatre ans, pour un mois plein, un mois rond comme un ballon.

Ne nous méprenons pas sur les joueurs qui vont disputer ce tournoi roi, à partir de jeudi. Des mercenaires millionnaires ? Vite dit. Ils ont quitté leur famille à 13 ans pour un centre de formation, parce qu’ils poursuivaient une passion, avec une chance infime d’y arriver. Comme tout sport de haut niveau, le foot recèle sa part de jungle, de compétition acharnée. Pour vouloir être le meilleur, il faut un ego surdimensionné, un côté tueur, du travail, et ne pas verser dans le doute ou l’excuse. Beaucoup des joueurs des 32 équipes qualifiées disputeront leur unique Coupe du monde. Comme dans un rêve, mais l­e train ne repassera pas. Il y a quatre ans, j’avais pronostiqué, début juin 2014, dans ces mêmes colonnes, le sacre de l’Allemagne au Brésil. J’avais alors su qui allait gagner à la fin. Un peu triste. Cette fois, je vois l’Espagne. En espérant, cette fois, me tromper. Allez les Bleus !