« J’assume parfaitement de mentir pour protéger le président », déclarait Sibeth Ndiaye, conseillère communication à l’Elysée, le 12 juillet dernier dans L’Express. Normal, pas choquant et pas du tout nouveau. Mais du coup, et alors qu’Emmanuel Macron a annoncé lors ses vœux à la presse, la semaine dernière, son intention de légiférer sur les « fake news », ces fausses informations véhiculées sur les réseaux sociaux et dont il estime avoir été victime lors de la campagne présidentielle (la détention, démentie par les faits, d’un compte offshore), et dont Hillary Clinton a essuyé les tirs lors l’élection américaine de novembre 2016, qu’est-ce qu’une « vraie » fake news ?  Qui a le droit de mentir et qui n’a pas le droit ? Vous avez trois heures.

Les gouvernements, toutes couleurs politiques confondues, mentent parfois. Mais toujours avec sourire et talent, à la façon des joueurs de bonneteau de la butte Montmartre. C’est une partie du métier, le but étant de garder le pouvoir. Les entreprises mentent parfois aussi, pour gagner plus d’argent. C’est, aussi, une partie de leur métier. Les enfants mentent, parfois, sur leurs notes en classe, sur leurs punitions, sur leurs sorties. Les plus coquins entretiennent l’illusion auprès de leurs parents qu’ils croient encore, à 8 ou 9 ans passés, au père Noël, pour se voir offrir plus de cadeaux (ça sent le vécu). C’est leur nature. Les fake news, à bien y réfléchir, scandent nos vies. Vieux comme Hérode, le mensonge n’est pas mauvais en soi. En revanche, démultiplié par Google, twitter et Facebook, il devient mondial, industriel et instantané, puissant comme une arme de guerre auprès des opinions publiques. Il faut vivre avec son temps. Je ne verserai pas dans le « C’était mieux avant ». Avant, il y avait un ministère de l’Information, des chaînes de télévision inféodées au pouvoir politique, des monopoles de presse. Non, ce n’était pas mieux avant.

Avec justesse, la chroniqueuse Natacha Polony rappelle qu’il revient aux médias traditionnels, dépositaires, en théorie, d’une déontologie constituée de rigueur, d’indépendance et de recoupement des sources, de faire davantage le job, pour ne pas laisser prospérer les réseaux sociaux comme sources majoritaires (exclusives pour les plus jeunes) d’information des citoyens. « Le pluralisme tout relatif de nos propres médias explique que tant de citoyens écoeurés se tournent vers des médias dits alternatifs, pour le meilleur et pour le pire. Les médias qui ont évité pendant si longtemps de parler de la montée de l’islamisme, qui n’ont pas vu l’antisémitisme dans les banlieues (…) sont-ils exempts de fake news ? » Belle leçon. Chaque matin, penser à toutes les enquêtes qu’on n’a pas réalisées, par paresse, couardise ou conformisme d’âme.

Autre point qui amène à tempérer la volonté déclarée du chef de l’État de légiférer : une législation existe déjà en la matière, et, par ailleurs, les géants du Net ont déjà mis la main à la poche pour bloquer les contenus potentiellement faux, comme le détaille Libération (www.liberation.fr/france/2018/01/04/fake-news-la-fausse-piste-de-macron_1620423).

Enfin, alors que nous célébrons, larme au bout du stylo, les trois ans des attentats de Charlie Hebdo, de Montrouge et de l’hyper Cacher de la porte de Vincennes, où journalistes, policiers et Juifs ont été abattus, parce qu’ils étaient journalistes, policiers et Juifs, il faut aussi se souvenir de l’immense vague de solidarité qui s’en est suivie. Que disait-elle, cette vague ? Que la liberté d’expression, la satire, le droit à la caricature de toutes les religions, la verve du verbe, la culture, le rejet de la censure et l’esprit des Lumières constituent, en France plus qu’ailleurs, notre trésor immatériel le plus précieux, le plus inaliénable. Menacé par la dictature numérique, ce trésor doit être sauvegardé, par une insurrection de livres et de connaissance. Il reste, plus encore qu’une énième et difficilement applicable nouvelle loi, le meilleur rempart aux fake news, que celles-ci soient officielles ou plus discrètes.