Emmanuel Macron va donc parler ce soir. Après quatre week-end de manifestations, de blocages ou attaques de sites stratégiques, de violences urbaines, il est temps. L’impact sur l’économie du pays est « une catastrophe », souligne Bruno Le Maire, ministre de l’Économie. Sans oublier l’image de la France à l’international, considérablement entamée, au moins pour un temps, vis-à-vis des touristes et des investisseurs. La grogne ne semble pas descendre d’intensité, au contraire : les casseurs ont fait plus de dégâts à Paris ce samedi 8 décembre que le précédent, et la fièvre se propage aux métropoles régionales.

Parler, mais pour dire quoi ? Le pourfendeur de l’impôt sur la fortune, l’ami des puissants – Choose France, concepts de « start-up nation » et des premiers de cordée, comme un poisson dans l’eau au sommet de Davos -, l’ancien banquier d’affaires à qui tout sourit, doit cette fois s’adresser aux classes populaires. Pas aux très pauvres, non. Ceux-là n’écoutent plus les politiques depuis bien longtemps. Mais à la tranche juste au-dessus, que la crise économique de 2008 a impactée bien plus que les classes plus diplômées, et plus protégées du chômage. Il lui faut, ce soir, s’adresser aux employés, aux ouvriers, aux fonctionnaires catégories C, aux petits retraités, aux jeunes, aux salariés – souvent des femmes – à temps partiels subis.

Exercice de communication périlleux : le chef de l’État, et son entourage, connaissent finalement peu cette France, souvent périurbaine et rurale, des fins de mois difficiles. Il n’en maîtrise pas tous les codes. Et, dans leur grande majorité, ces citoyens le lui rendent bien, puisqu’ils n’ont pas voté pour lui en 2017, et ne voteront pas pour lui en 2022, s’il se représente. Mais c’est une partie d’entre eux qui se lèvent aujourd’hui, pour demander – entre autres et en schématisant – plus de sous à la fin du mois et plus de sens pour demain. Et ils veulent Macron, et personne d’autre. S’autoproclamer Jupiter après avoir renversé un système vieux de quarante ans, c’est fort, mais casse-gueule.

Échappera-t-on à un énième exercice de communication ? Il faudra bien, un jour et aujourd’hui serait opportun, que ce jeune – 41 ans le 21 décembre – et redoutable – n’oublions pas le culot instinctif dont il a fait preuve en 2016-2017 – père de la nation parle avec son cœur. Qu’il élude les phrases trop préparées, les attitudes trop théâtrales. Qu’il épure son verbe parfois ampoulé. Qu’il arrête de s’excuser à longueur de discours, car encore trois ans et demi à s’excuser, ça va faire long. Qu’il fasse preuve, surtout, d’autorité, car le feu se répand : des policiers attaqués en plein Paris, des journalistes pris à partie, des députés LREM faisant l’objet de menaces de mort jusqu’à leur domicile privé, des vitrines brisées, des commerces pillés, des voitures brûlées. Qu’il ose, même si l’ambiance insurrectionnelle ne s’y prête pas, rappeler une vérité d’actualité en ce mois de décembre : père de la nation ne rime pas avec Père Noël. Les marges de manœuvre budgétaires s’amenuisent. Il n’y a plus d’argent dans les caisses. Creuser les déficits et la dette reviendrait à créer des gilets encore plus jaunes en 2030. Poursuivre les évadés fiscaux et traquer les grands groupes pour qu’ils s’acquittent de leur impôt ? Soit. De la justice sociale, bien sûr. Mais la France, forte de son système éducatif, de santé, de solidarité ou de transports, n’est pas non plus un pays non-redistributif.

Macron le porte dans son logiciel : en 2019, et au-delà, il faudra un peu moins d’État-Providence et un peu plus de libération des énergies individuelles. Il n’y a pas d’autre issue, et voilà, au final, une perspective enthousiasmante. Trop de talents et de vocations sont gâchés. Cela passe par des choses très concrètes. Par exemple, que les classes populaires aient un accès prioritaire (au détriment des cadres, qui ont déjà les clés et le réseau) aux formations professionnelles, à l’heure où la digitalisation bouleverse l’économie et les métiers. Que l’on crée une bonne fois pour toutes un système d’orientation performant (avec création d’un module dédié, de deux ou trois heures chaque semaine), dès le collège, en lien actif avec le monde économique et les débouchés dans les filières. « En général, en France, on abandonne trop volontiers la liberté, qui est la réalité, pour courir après l’égalité, qui est la chimère », écrivait Victor Hugo en 1836. Rien n’a changé.