C’est la came des politiques, cercles d’influence et réseaux de gens bien : l’histoire, avec un h comme hasch. Pierre Mendès-France, Léon Blum, Jean Jaurès, Napoléon, De Gaulle… classés dans le désordre chronologique (c’est fait exprès), voilà le top five des muses de nos décideurs du moment. Droite ou gauche, on y a droit à chaque discours de politique générale, à chaque campagne, à chaque tentative d’envolée. Comme sol de référence, on fait plus moderne, plus féminin et plus international.

A mesure que l’étau de Bruxelles se resserre, et que fondent les marges de manoeuvre de notre président casqué – pas de croissance, endettement galopant, chômage au beau fixe -, la cadence de ces canonisations intellectuelles s’accélère. Ca vire à l’obsession. A croire que c’est eux, ces illustres ascendants, qui dirigent encore. Aussi pressants qu’un silence, tels ces ancêtres figés dans la vieille maison familiale, dont les portraits accrochés au mur vous scrutent jusqu’au sang dans la moiteur d’août. Repli sur soi, sans soie. Rengaine d’une prophétie auto-réalisatrice : grande nation nous fûmes, grande nation nous resterons. Nostalgie malsaine d’un pseudo-âge d’or, où les femmes ne pouvaient ni voter ni avorter, où l’on colonisait la moitié de l’Afrique et où, en Europe, la jeunesse tombait par millions, pour rien.

Pauvre roturier dont les connaissances historiques débutent vaguement en 1936 (ne me demandez pas pourquoi, un mix de Front populaire et de Jeux Olympiques de Berlin, sûrement), je ne ferai donc jamais carrière dans un ministère. Misère. Ne me faites pas penser ce que je n’ai pas écrit : l’histoire éclaire l’avenir, et la méconnaître fabrique à coup sûr une sous-citoyenneté. A l’école, c’est une fort belle matière – lorsqu’elle est bien enseignée. Elle en dit long, pêle-mêle, sur la longue route vers la démocratie, l’atrocité des guerres et l’embrigadement des âmes, par l’Eglise, la dictature, ou TF1.

Ce qu’il faut, en équitable complément, c’est une matière intitulée « avenir », qui pousserait davantage, et aussi, les regards vers les prochains enjeux, climatiques, démographiques, technologiques, alimentaires. L’avenir : ce qu’il pourrait être, ce qu’il devrait être, et non pas ce qu’on aimerait qu’il soit. Le rôle que sa ville, sa région, son pays, y jouera. Le prendre à bras le corps, comme une femme qu’on désire. Surtout, ne pas en avoir peur.

Et, que je sache, les Blum, Bonaparte&co ne passaient pas leur temps, eux, à glorifier le passé. « Le temps qui nous reste à vivre est plus important que toutes les années écoulées », nous rappelle Tolstoï, jeune auteur russe.