J’étais gosse en 1984, quand l’équipe de France de football a remporté chez elle le championnat d’Europe des Nations, avec un Michel Platini au top – neuf réalisations en cinq matchs, des buts du pied droit, du pied gauche, de la tête, un vrai récital. Premier titre tricolore dans un sport collectif, à une époque riche en stars dans les disciplines individuelles – Alain Prost, Yannick Noah, Laurent Fignon, Bernard Hinault -, ayant atteint des niveaux de performance jamais égalés depuis.

Le marketing à la con ne triomphait pas encore. Alors, on n’avait pas eu droit à la rengaine médiatique ‘Black-Blanc-Beur’ de l’été 98, ponctuant l’autre victoire des Bleus sur leur sol, lors de la Coupe du Monde. Pourtant, en 84, l’équipe incarnait déjà la France dans toute sa diversité – Tigana le Malien de Marseille, Fernandez et Amoros les Espagnols de Vénissieux et de Nîmes, Platini le Rital de Lorraine…

La France ouvre son Euro, ce vendredi au Stade de France, face à la Roumanie. L’équipe, bien sûr, n’est plus la même. L’époque non plus. Connectée mais verrouillée. Sans frontière européenne mais plus sombre de menaces, terrorisme en tête. Sans doute plus tolérante, mais plus tendue socialement, comme en atteste la polémique lancée par l’improbable trio de penseurs Eric Cantona – Jamel Debbouze – Karim Benzema. Ce dernier, attaquant du Real Madrid, n’a pas été sélectionné, du fait de sa mise en examen pour complicité de tentative de chantage auprès d’un coéquipier. Plutôt que de se remettre en question, Benzema crie courageusement au racisme dans un quotidien espagnol, et est soutenu de façon hétéroclite par Cantona – qui déteste de longue date le sélectionneur tricolore Didier Deschamps – et Debbouze – en perte de vitesse, et prêt à tout pour grappiller des parts d’audience. Un beau message pour les éducateurs et la jeunesse. D’autant moins recevable que l’équipe de France comptera, vendredi soir, une faible proportion de Gaulois. Par sa diversion, Benzema arriverait presque à nous faire oublier, en plus de ces déboires judiciaires, qu’il n’a jamais marqué un but décisif dans un grand match. Rendons hommage aux non-sélectionnés silencieux, tellement plus méritants que lui – Ruffier, Ben Arfa, Gameiro.

En 30 ans, l’argent-roi est devenu le seul étalon de mesure. Les joueurs répondent à peine, en zone mixte, aux journalistes, dont ils savent qu’ils gagnent 100 à 150 fois moins qu’eux. Oublions les journalistes de presse écrite : aux yeux des footballeurs, qui ne lisent pas et peineraient à décrocher le BEPC, ils n’existent même pas.

Oui mais. Mon 1984, bien plus lumineux que celui de George Orwell, insuffle l’optimisme. Accueillir des équipes de toute l’Europe, à l’aube de l’été, dans des enceintes neuves ou rénovées, confère un air de vacances anticipées. On donne la main à l’enfant que l’on fut. On aimerait en secret que son fils vive la même chose. Parenthèse heureuse d’un mois tout rond, jusqu’au 10 juillet. Assister à l’entraînement de la grande Squadra Azzura, ce jeudi à Montpellier : un luxe, entre articles, mails et réunions. Et pour nos Bleus à lames, après les sacres de 1984 et 1998, jamais deux sans trois ? Dopés par le public, les Matuidi, Griezmann, Lloris et autre Pogba peuvent le faire. Mon pronostic va certes vers la victoire finale d’un outsider venu du Nord : Angleterre, Belgique ou Pologne. Faites-moi mentir, les gars !