« Elle n’avait qu’à travailler à l’école. » C’est par cette sentence que le père d’un ami répondit à ce dernier, il y a 20 ans, alors que celui-ci plaignait le sort d’une préposée à un péage autoroutier. Nous étions de nuit, de retour d’une virée ballon rond au Camp Nou de Barcelone. La phrase m’est restée, d’autant plus qu’elle était prononcée par le DRH d’un « grand groupe », comme on dit en France. Très importants, les grands groupes.

Que dit cette phrase, en filigrane ? Soit tu es doué sur les bancs du collège et du lycée, et tu décrocheras un diplôme, universitaire ou d’une grande école, qui te donnera accès, à 22-23 ans, au sacro-saint statut de « cadre ». Et ce, à vie, et peu importent, grosso modo, tes compétences réelles (initiative, anticipation, actualisation des acquis). Les plus audacieux créeront leur entreprise, entre 4 et 5 %. Eux n’auront pas autant de protections.

Soit tu rencontres des difficultés, du fait de défauts de compréhension, de mémorisation ou de conceptualisation, ou tout simplement parce que tu n’aimes pas rester comme ça, à écouter 7 heures par jour. Et alors, de gros cumulo nimbus viennent obscurcir ton avenir professionnel. Prenons le parcours d’une assistante lambda. Volontaire, elle décroche à 35 ans un diplôme qualifiant. Tout bien comme il faut : bilan de compétences en amont, et la formation correspond aux besoins de son employeur. Elle passe « opératrice », pour quelques euros de plus. Wahou… Parce que soi-disant crise – excuse inventée par ceux en place, pour préserver leur caste -, parce que réduction des affectifs. Parce que, surtout, en France et même en 2015, une assistante ne devient pas cadre, quels que soient ses compétences, son ancienneté, son implication, sa trajectoire. Le plafond est en verre armé.

La valorisation de l’apprentissage et des filières techniques, les internats d’excellence, les écoles de la 2ème chance, Talents des Cités, les clauses d’insertion sur les marchés publics… Il y a du mieux et ces initiatives sont à louer. Mais on est encore dans le replâtrage, dans l’excuse succédant à l’offense. Loin des modèles britanniques ou allemands, où les voies techniques sont souvent perçues comme étant d’une égale valeur par rapport à la filière généraliste. Il en va de même pour la perception du sport ou des arts. Prenez la Brit School à Londres, qui a « produit » Adele, Amy Winehouse, The Kooks ou autre Kate Nash. Financée par le gouvernement britannique, elle cible tous les joyaux, d’où qu’ils viennent, enfants de bonne famille ou de drogués, pourvu qu’ils aient du talent.

C’est demain la rentrée, avec ses cris d’enfants, ses ados mous et connectés, ses profs pas encore en grève et les hordes de parents, bavassant entre eux comme s’ils étaient les plus grands amis du monde – phénomène qui m’a toujours stupéfié. Je ne souhaite pas le meilleur pour mes enfants. Ils se débrouilleront sans ce poids. Je souhaite par contre qu’on – le système, moi, vous, nos impôts, les organismes à sigles à rallonges etc… – les aide à voir ce qu’ils aiment, et à grandir dedans. Formation tout au long de la vie, disait la stratégie de Lisbonne il y a quinze ans, en 2000.