Notre-Dame incendiée, dévastée, dans le nerf de sa nef, le cœur de son chœur, et sa flèche trépassée de ciel à poussière, dans un désordre des choses. Notre-Dame sauvée in extremis par les pompiers de Paris. Si c’est peut-être, et probablement (aucune revendication en ces heures saintes), un accident, l’empressement du pouvoir à exclure toute autre thèse est en soi suspect, puisque l’enquête judiciaire débute à peine. Il faudra des milliards d’euros pour restaurer ce joyau de l’art gothique, chrétien avant tout, mais aussi symbole littéraire, parisien, national, et sacré vecteur d’attractivité touristique. Ceux qui ont pris un verre dans le secteur comprendront.

Il faudra donc l’équivalent d’une ligne à grande vitesse, ou d’un grand plan anti-pauvreté, pour réparer cette merveille médiévale, que l’on découvre mortelle. Et les premiers à dégainer le chéquier ont été les grandes fortunes hexagonales. Déclenchant une polémique dont seule la France, décidément bien fâchée avec l’argent et dévorée par la passion de l’égalitarisme, a le secret. Le 18 avril, 850 millions d’euros de dons étaient enregistrés, parmi lesquels les cracks du CAC, François Pinault (Artémis et Kering), Bernard Arnault (LVMH), famille Bettencourt Meyers (L’Oréal) ou Patrick Pouyanné (Total).

Opération de communication sur fond de défiscalisation ? Cynisme alors que des millions de Français peinent à boucler leurs fins de mois ? Avant la polémique, on pourrait peut-être remercier ces magnats pour leur geste, au lieu de leur cracher dessus, dans un réflexe révolutionnaire à la fois désespérant, archaïque et stérile (chacun des trois adjectifs étant complémentaires des deux autres).

Tout d’abord, la défiscalisation des dons est plafonnée. Ensuite, « sans les riches, il n’y aurait déjà plus de patrimoine en France », rappelle, en forçant un brin le trait, l’économiste Emmanuel Lechypre, le 16 avril. Enfin, chose qui peut sembler dingue : cet argent des riches, il leur appartient. Comme le nôtre nous appartient aussi, au demeurant. Les Pinault, Arnault et consorts font ce qu’ils veulent avec leurs cheveux blancs. C’est ainsi.

Derrière les cendres fumantes de la forêt de chêne du 13ème siècle qui formait la charpente de Notre-Dame, et dont nous aurons eu le privilège d’assister, de notre vivant, à la destruction, et à travers la fumée de polémiques éphémères, perce la lumière d’une vérité terrestre. Et le 21ème siècle se chargera de la confirmer : l’Etat n’a plus un rond. Il doit se recentrer sur des missions régaliennes exclusives : police, justice, éducation, santé. Et c’est bel et bien le secteur privé, créateur de richesses, d’emplois et de formation professionnelle, bien plus que d’évasion fiscale, qui prendra le relais pour le reste. C’est un changement profond, déjà en marche. Il va falloir s’y faire.