Mets 68. Si le président de la République ne commémorera pas les 50 ans de Mai 68, des minorités actives s’y mettent, dans les facultés, les Zad ou chez les cheminots. Mets 68 en boucle. Le son du transistor grésille. Un peu hétéroclite, et souvent inaudible, comme soulèvement. Les conditions ne semblent pas réunies, et l’histoire ne se clone pas. Un demi-siècle a passé, enjambant un millénaire. La mondialisation économique, l’Internet, le multiculturalisme, le terrorisme djihadiste, le chômage de masse, la chute des figures figées ont déferlé. La paix et une certaine tolérance, aussi. Alors, mets 68 où tu peux.
Mes 68. On ressent tous nos révoltes et nos rêves, en public ou cachés. L’époque presque oubliée, kaléidoscopique et psychédélique, improbable en diable, criarde et soixante-huitarde, entre guerre du Vietnam, yéyé, Beatles et Stones, Martin Luther King, mort de de Gaulle et de Jimi Hendrix, inspire encore. Elle marque aussi le début de la longue marche de l’égalité hommes-femmes. Certains ont vécu ce pan d’histoire, parfois de très près, avec intensité, pacifisme et sincérité. Nous autres, nés trop tard, pouvons le fantasmer, et nous imaginer à refaire le monde sur une barricade, face à un CRS, avec une chope de bière. Mes 68 raisons d’aimer encore la vie.
Mais 68. La jeunesse d’aujourd’hui, « désidéologisée », ultra-connectée et sous-politisée, a son monde à elle. Elle cherche des stages non rémunérés, dans lesquels elle domine certains cadres engoncés, par sa vivacité d’esprit, sa liberté de ton et sa maîtrise des nouvelles technologies. On ne l’a jamais forcé à aller à la messe. Elle ne se lève pas à l’entrée du professeur. Elle affronte les désastres du communautarisme. Ses parents sont séparés et re-séparés. Elle s’en fout et ils s’en foutent aussi. Le pragmatisme et les solutions techniques ont balayé les principes et les postures intellectuelles. Mais 68 évoque-t-elle aux Millenials autre chose qu’une photo en noir et blanc, jaunie et écornée ? Mais 68 aussi, car l’héritage légué comprend des dettes sociétales toujours non soldées – casser du flic, l’université sans la moindre sélection à l’entrée, le rejet de toute autorité.
« Que faisiez-vous en mai 68 ? » C’est la question posée par la rédaction de La Lettre M du 24 avril à des patrons aguerris d’Occitanie. Anecdotes truculentes à la clef. Comme Dominique Imbert, fondateur et président des cheminées contemporaines Focus (Viols-le-Fort, Hérault). « Je suis né en 1940 à Montpellier, dans une famille bourgeoise et catholique. À 21 ans, je suis monté à Paris pour faire Sciences Po, puis pour suivre des études de sociologie. En 1966, je suis revenu dans le Sud pour m’installer dans une ruine, à l’extérieur du village de Viols-le-Fort. J’étais très en colère contre le monde qui nous entourait, contre les excès d’une société bloquée. Mai 68, pour moi, a sonné comme une victoire contre une austérité qui figeait la société, depuis des décennies. En apprenant la naissance du mouvement, j’ai décidé de me rendre sur place. Arrivé à Paris, c’était la fête pendant trois semaines ! Je garde de Mai 68 le souvenir d’une récréation, d’un grand moment d’exaltation, de tous les possibles. Beaucoup de participants ont, bien sûr, exprimé des opinions politiques. Mais c’était plus une fête qu’une révolution. Il y avait des feux de joie dans la Sorbonne. Mai 68 n’a causé aucun mort à Paris. Une révolution sans mort, ce n’est pas très méchant, malgré quelques pavés jetés et quelques carreaux cassés. Il y avait surtout une envie de libération. Comme beaucoup, je n’avais pas de ressenti particulier contre le général de Gaulle, pour lequel j’avais beaucoup d’admiration. Après Mai 68, je suis revenu dans ma ruine, où j’ai fabriqué ma première cheminée, pour mon usage personnel. Un ami m’a dit : ‘Je voudrais la même.’ L’histoire de Focus démarrait. » Rendez-vous le 7 juin. Pour les 50 ans.
Elle est belle l’histoire de Dominique Imbert. Faire le lien entre Viols Le Fort Et La fête révolutionnaire à Paris, pas mal. Et tes mes, mets, mais Et Mai encouragent la lecture, Merci Hubert Et à La prochaine
Tout le monde s’accorde pour dire qu’il y a dix millions de raisons de se souvenir de Mai 68 : les 10 millions de grévistes qui se sont engagés dans la plus grande grève de l’Histoire de France. Les résultats de ce mouvement social, pour résumer, ce furent : l’augmentation du SMIC de 35 %, l’augmentation générale des salaires de 10 % au minimum, la création de la section syndicale d’entreprise, la quatrième semaine de congés payés, etc.
Tout cela a été obtenu sans conséquence notable sur le plan économique : le taux de chômage est resté en dessous de 2 %, la croissance est restée aux alentours de 5 %, l’inflation est restée aux alentours de 5%, malgré la hausse des salaires et la quatrième semaine de congés payés. En même temps, la durée moyenne hebdomadaire de travail, qui était encore de 48 heures par semaine donnait lieu à des actions dans les entreprises conduisant à des accords sur la réduction du temps de travail par étapes, jusqu’au retour des 40 heures obtenues par le mouvement social accompagnant la victoire du Front Populaire en 1936.
Il est vrai qu’à partir de 1974 la situation économique mondiale entra dans une crise qui dure encore : le chômage de masse à l’échelle planétaire, un taux de croissance moyen inférieur au taux d’augmentation de productivité moyen, et une inflation galopante. L’explication dominante de la fin des « trente glorieuses » (1945-1975) orchestrée par la société du Mont-Pèlerin, c’est que le modèle keynésien avait atteint ses limites et que le capitalisme connaissait une transformation que les accords de Bretton-Woods, inspirés par Keynes, étaient incapables de maîtriser. Mais c’est totalement faux.
L’analyse de Keynes se fondait sur l’Histoire des faits économiques et tout particulièrement sur la crise des années 1930. À partir de 1919 et pendant 10 ans, les États-Unis ont déréglementé les marchés financiers et monétaires. Cette déréglementation est reconnue aujourd’hui comme la cause principale krach de la bourse de New York de 1929 qui pollua non seulement l’économie US mais pollua l’économie mondiale, transférant la crise mondiale notamment aux pays européens. Sur la base de ce diagnostic, Keynes recommanda en 1944 à la conférence des alliés le retour à la réglementation des marchés financiers et monétaires. Les accords de Bretton-Woods, signés en 1944, avaient un principe : une monnaie commune, l’étalon de change-or. Toutes les monnaies avaient une parité fixe avec le dollar, le dollar lui-même ayant une parité fixe avec l’or (35 dollars pour une once d’or). D’autre part, il était convenu que les banques de dépôt et les banques d’affaires (spéculatives) étaient séparées. Plus de spéculations sur les monnaies ? Eh Oui ! Naturellement, les banques centrales étaient sous le contrôle des états et si des changements de parité monétaire étaient nécessaires, cela donnait lieu entre gouvernements et banques centrales à une négociation pour adopter une nouvelle parité, dévaluation pour les uns, réévaluation pour les autres.
Il y a deux causes réelles à la fin des trente glorieuses : la première, c’est une décision politique : le 15 août 1971, Nixon mit fin au système de parités fixes mis en place par les accords de Bretton-Woods. Le dollar devin flottant, c’est-à-dire variable en fonction de la demande et de l’offre. Mais puisque le dollar flottait, il n’y avait plus de base aux parité fixes, toutes les monnaies se mirent à flotter, devenant objet de spéculation.
Cela entrait parfaitement dans les vues des membres de la société du Mont-Pèlerin, Hayek, Friedman, Von Mises et tutti quanti, qui combattirent les théories keynésiennes pour promouvoir les marchés libres, la concurrence non faussée, la non intervention des états dans le domaine économique, la disparition des services publics (assimilés au socialisme). La société du Mont-pèlerin avait évidemment inspiré Nixon qui avait un problème : le coût de la guerre du Vietnam. Le dollar flottant était une aubaine : du fait de la parité entre l’or et le dollar, référence pour toutes les monnaies, les US vivaient à crédit, sachant que les banques centrales augmenteraient leurs réserves de dollars. Le dollar flottant, ce fut le moyen de dévaluer les montant des réserves en dollars et de faire financer une partie de la guerre du Vietnam par les autres états à leur insu.
Les conséquences, on les connaît : les produits dérivés, les produits titrisés, la spéculation. Chacun devrait lire L’Hydre Mondiale, l’oligopole bancaire de François Morin (éditions LUX). Une trentaine de banques systémiques contrôlent les taux monétaires et les taux financiers. Trente banques sur 45 000.
Alors, le yéyé, l’envie de libération, l’entrée sans la moindre sélection à l’entrée de l’université, tout ça, c’est du pipeau. Il y avait un contrôle à l’entrée de l’université, c’était le baccalauréat. Et il y a eu au moins sept morts pendant le mouvement de Mai 68, dont Gilles Tautin, lycéen noyé dans la Seine pour échapper à une charge des forces de police, près de l’usine Renault de Flins ; deux ouvriers morts à Sochaux aux abords des usines Peugeot. En plus de ces morts, il y a eu plusieurs centaines de blessés graves.