Demain, une foule pléthorique et bigrement bigarrée – élus, people, ministre, journalistes, joueurs et supporters du club, salariés du groupe, simples citoyens – dira adieu à Louis Nicollin, en la cathédrale Saint-Pierre de Montpellier. Le président du groupe éponyme, spécialisé dans la collecte des ordures, le tri et retraitement des déchets, l’assainissement, la sécurité et la location de bennes (Montpellier), et président du Montpellier Hérault Sport Club (football, Ligue 1) depuis 1974, est décédé à Nîmes le 29/6, jour de ses 74 ans, suite à un arrêt cardiaque survenu alors qu’il célébrait son anniversaire dans un restaurant gastronomique à Garons (Gard). Truculent jusqu’au bout : mourir autour d’une (très) bonne table, le jour de son annif, chez l’ennemi nîmois de toujours : il fallait l’inventer. « J’aimerais au moins vivre jusqu’à 74 ans, car La Paillade a été créée en 1974 », avait-il déclaré, sous forme de boutade prémonitoire. Nicollin, marié à Colette depuis le début, était le dernier président fondateur d’un club de Ligue 1 en exercice.

Connu pour sa gouaille grivoise digne des meilleurs dialoguistes, Louis Nicollin s’est imposé comme un redoutable homme d’affaires. Il a hissé le groupe familial (5.000 salariés, CA : 305 M€), au 3e rang national de son secteur derrière les géants Veolia et Suez. Même réussite côté football : il a porté le club de « La Paillade » – qu’il aimait à personnifier, l’appelant « ma fille » -, du statut amateur à une Coupe de France en 1990, un quart de finale énervant de Coupe d’Europe en 1991 et un titre (inespéré) de champion de France de Ligue 1, en 2012. Avec, aussi, soyons francs, un paquet de matchs lamentables, lot de tout supporter bêtement fidèle. Les Ultras lui ont rendu un vibrant hommage, samedi (http://bit.ly/2tch0qZ).

Proche de l’ancien maire de Montpellier Georges Frêche (décédé en 2010), Jean-Michel Aulas (Cegid et Olympique Lyonnais), Nicolas Sarkozy et Michel Platini, Louis Nicollin adoptait une trivialité de façade, pour mieux « la mettre comme il faut » (sic), ensuite, à ceux qui le prenaient de haut. « Il faut être naïf pour croire que Louis Nicollin pense ce qu’il dit », décryptait son ex-directeur général. En interview, difficile de se retenir pour ne pas rigoler à ses vannes.

Quelques morceaux choisis : « Les patrons qui disent travailler tout le temps, c’est des clowns ; un vrai patron, il s’entoure de mecs compétents, pour aller au resto et voir sa maîtresse l’après-midi » ; « Les joueurs, avant qu’ils signent au club, je les invite à déjeuner avec leur femme. Ils prennent ça pour une marque d’attention, mais en fait, c’est pour voir, avec Michel Mézy (son conseiller), si l’épouse a bon fond, ou si c’est une chieuse. C’est hyper important, les épouses, dans l’équilibre des joueurs » ; « Dans les métiers de la sécurité, ça me fait de la peine de payer les gens aussi mal. C’est vraiment des boulots de merde. Bon, j’ai pas le choix, c’est les salaires pratiqués dans ce milieu. Mais je trouve pas ça normal » ; « Avant le match contre Lyon (en avril 2016, note), j’étais tellement stressé à l’idée que le club descende en Ligue 2 que je me suis mis à saigner du nez. J’ai été hospitalisé : j’avais 19 de tension ! Franchement, ‘canner’ (décéder) pour des mecs comme ça (ses joueurs)… » ; « Mon père (créateur de l’entreprise) m’envoyait ramasser les poubelles pendant les vacances d’été. D’accord, il me versait un salaire d’ingénieur, mais au moins je sais de quoi je parle » ; « Les homos, perso, je suis content, ça fait plus de femmes pour nous. Si j’avais 40 ans, je serais d’ailleurs copain avec tous les homos de Montpellier, ce sont de bons rabatteurs pour les gonzesses. »

Nicollin, un patron riche (478ème fortune française, avec 140 M€, selon l’hebdo Challenges, paru juste avant son décès), parfois en délicatesse avec le code des marchés publics (trois condamnations) ou le droit du travail, mais capable de générosité. Il a tendu, plusieurs fois, la main à des gens sans diplôme, ou d’anciens joueurs en galère. Un seul critère : la valeur travail. Nul à l’école (Bac raté trois fois), mais intelligent. Il savait déléguer. Et innover. Dépeint comme misogyne, il a été précurseur en matière de football féminin, structurant une filière professionnelle, avec un sacre national dès 2004. Nicollin, un fou de foot, comme en atteste sa collection de maillots sise au Mas Saint-Gabriel (Marsillargues), l’une des plus belles du monde.

Et maintenant ? L’indépendance semble actée. En novembre 2013, Sita (filiale déchets de Suez Environnement) avait cédé sa participation de 36 % dans le groupe. La famille Nicollin, actionnaire majoritaire, a repris une partie de ces actifs aux côtés d’un pool bancaire. Ses deux fils ont été placés aux manettes : Olivier à la Société Méditerranéenne de Nettoiement, et Laurent au MHSC. Une époque s’achève. Celle où un langage fleuri, parfois très limite, prospérait, avant qu’il ne soit fâné par l’ultra-communication et le conformisme de la pensée unique – suivez mon regard. Jeudi, l’âme de La Paillade s’est éteinte, et avec elle, un peu de nos enfances au stade. Ciao Loulou, et 34 mercis pour la passion, l’ancrage territorial (50 ans d’Hérault), le club et les excès.