C’est vieux comme Hérode : le neuf est plus glamour que le rénové. Les journalistes et les élus adorent les lignes ferroviaires nouvelles ou les programmes immobiliers du futur avec, en signature, des super archis super chers venus d’ailleurs. Ces projets très médiatiques ne concernent pourtant qu’une frange infime de la population – les investisseurs, la classe business, les bobos fortunés. Les réseaux TER secondaires, les copropriétés dégradées, les logements vacants ? Glauque, classe moyenne, ringard.

A neuf semaines d’élections régionales qui s’annoncent compliquées pour la majorité en place, le gouvernement valide, le 26 septembre, la réalisation des lignes à grande vitesses (LGV) Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Dax, dans le cadre du Grand projet ferroviaire du sud-ouest (GPSO). Et ce, malgré l’avis négatif de la commission d’enquête publique. A se demander, d’ailleurs, à quoi servent les rapports d’enquêtes publiques : à Montpellier, le projet de dédoublement de l’A9 avait également fait l’objet d’un avis défavorable en mars 2006, mais se réalise tout de même, sur commande de l’Etat – travaux en cours, livraison fin 2017. Faudrait savoir.

La ligne Bordeaux-Toulouse reliera deux grandes métropoles du Sud-Ouest. Elle mettra Airbus City à 3h15 de Paris. Et le TGV incarne encore – moins qu’avant – la modernité. Bordeaux-Toulouse est prévu pour 2024 et Bordeaux-Dax pour 2027. Coût estimatif : 8,3 milliards d’euros. « GPSO est le seul projet que le gouvernement ait décidé de poursuivre dans les années qui viennent », relève Martin Malvy (Région Midi-Pyrénées, PS). Jean-Luc Moudenc, maire de Toulouse (LR), « salue cette décision. Toulouse était la seule grande ville française à ne pas être reliée au réseau ferroviaire national et européen à grande vitesse » – Nice et Grenoble étant oubliés un peu vite.

Faillite récente de TP Ferro (exploitant de l’axe Perpignan-Figueres), doutes quant à la rentabilité de la ligne et la faisabilité du montage financier, concurrences agressives et naissantes des sites de covoiturage, des cars Macron et des lignes aériennes low-cost, rapport à charge de la Cour des Comptes, tarification incompréhensible et inflationniste de la SNCF qui provoque un certain désamour du TGV, projets au moins aussi intéressants – numérique, formation, aides aux entreprises… – qui seront sacrifiés sur l’autel de la LGV : les réactions des candidats aux élections régionales du 6 et 13 décembre, dans la grande région Languedoc-Roussillon/Midi-Pyrénées, sont mitigées. Côté pro-GPSO, Carole Delga (PS) applaudit mollement, jugeant que cette infrastructure « contribuera à placer la grande région au coeur des axes de transport majeurs du sud de l’Europe. »

Pour Philippe Saurel (DVG), maire de Montpellier, « relier Toulouse à Bordeaux, c’est bien, mais on ne donne pas corps à la nouvelle région en modernisant les lignes reliant Toulouse à Montpellier et en mettant à une distance raisonnable les deux métropoles de la région. » Dominique Reynié (LR), « se méfie des effets d’annonce, à quelques semaines d’un scrutin important. Le gouvernement doit préciser à partir de quels financements cet investissement sera réalisé, et au détriment de quels autres projets. » D’autre part, qu’on ne s’y trompe pas : cette extension du réseau TGV n’est pas une bonne nouvelle pour la SNCF, souligne mon collègue Lionel Steinmann dans Les Echos de ce jour : « Les lignes les plus rentables ont déjà été construites, et celles à venir dégradent la rentabilité de l’activité. »

Plus radical, Gérard Onesta (EELV). « On n’a pas le premier kopeck pour ce projet. Le gouvernement et des élus locaux sont dans le fétiche du quart d’heure gagné. Toulouse et Montpellier sont des métropoles à part entières. On ne doit pas les vivre comme des terminus de RER parisien. » Sans parler de créer une ligne nouvelle entre Toulouse et Montpellier – restons sérieux -, mettre de la wi-fi dans les intercités et accroître les liaisons directes entre les deux pôles-clé de la future grande région, sans arrêts forcés à Coursan, Escalquens ou Baziège, serait déjà une belle avancée. Et ça ne coûterait pas 8 milliards d’euros.