Vous connaissez forcément les montres molles peintes par Salvador Dali dans son tableau La Persistance de la mémoire ? Difformes, fondantes, les aiguilles comme folles, ces montres datant de 1931 disent avec la même universalité des choses fortes, 87 ans après : la moquerie devant la rigidité du temps, l’angoisse devant la marche inexorable vers la mort. Sa femme, Gala, aurait dit au peintre, à propos de cette œuvre : « Personne ne peut l’oublier après l’avoir vue. » Compliment efficace, car objectif et technique.

En 2018, les écrans digitaux ont supplanté les montres à gousset, et les rêveries surréalistes semblent à beaucoup ridées, surannées, momifiées. Et pourtant. Avec ces chaleurs accablantes, ces poussées vertigineuses de mercure, ne prendriez-vous pas de ces montres molles par brassées ? C’est de saison, l’âme à hamac. C’est un délice, la perte de la raison. Chaque été, s’opère un décrochage probablement inversement proportionnel à l’investissement mis dans le travail, onze mois durant. Au bout de deux jours de vacances, je ne sais plus quel jour on est. La famille déjeune à 15h. Je ne me rappelle plus quelle destination j’ai réservé. Quelque part en Italie. On s’en fout. Plaisir de partir. Les jours ont partout changé de corset, offrant de sublimes nudités numériques. Plus de mail, plus de SMS demandant si j’ai reçu le mail, plus de piratages à répétition, plus d’appels masqués agaçants, plus de passions harassantes. Des clopes et des gros mots, ironise joliment la comédienne Florence Foresti.
Le soir, en bord de mer, les éclairages urbains des stations voisines scintillent en tremblant. On entend, au loin, pétarader des feux d’artifice. Les gamins jouent tard, tout excités, dans l’air toujours électrique, tout chargé de soleil.

Surtout, ne rien programmer. Le lâcher-prise dalien requiert une forme de discipline mentale. Lire autre chose que des articles. Fixer ses sens sur des choses simples et oubliées par nos rythmes urbains. Car les pressions et sollicitations dansent déjà sur vos agendas ventrus : festivals, expos, randos, amis, famille, bons plans de voyage de dernière minute dénichés sur la toile, choses à faire, à voir, à dépenser sans penser… On frise parfois le burn-out, en vacances aussi, et on en revient plus fatigués encore. Or, il faut décompenser totalement, et accepter parfois de s’ennuyer un peu, pour se réconcilier totalement, avec soi-même, avec les siens. Ne m’en veuillez donc pas : le billet du lundi revient le 20 août. Bel été à tous, et ne restons pas connectés !