A la stupide, et donc récurrente, question « tu viens d’où ? », j’ai toujours privilégié les réponses à géométrie variable, en fonction du niveau présumé de culture générale de mon interlocuteur, et de l’intérêt porté à ce dernier. Au piche en tongs, torse épilé et huilé, à la cagole décérébrée, ou, autre registre, à l’attaché parlementaire ou directrice de communication d’un grand compte, je réponds : « de Paris ». Ces deux mots mouchent la cagole et le piche, pour qui le Grand Nord commence à Avignon, et matérialisent d’emblée la distance souhaitée. Et ils rassurent l’attaché et la directrice, pour qui tout mammifère évoluant en dehors du périphérique n’a presque plus de dents, et pédale pour son chauffage.

Au décideur régional, je sers plutôt : « de Montpellier ». La proximité est mère de business et faiseuse de confiance : quelqu’un de chez soi, même coiffé d’un bonnet d’âne, a forcément un coup d’avance. Enfin, à celui dont je sens qu’il pourrait, au moins quelques mois, devenir un ami, je confie : « d’Auvergne ». C’est que l’âme de mes ancêtres galope sur les mamelons du Sancy, et mes meilleurs souvenirs de môme se nichent dans les derniers hectomètres du col de la Ventouse, 1 000 fois vaincu en plagiant Laurent Fignon, entre lac d’Aydat et Puy-de-Dôme.

Bref, en un mot comme encens* : esprit ouvre-toi ! En redessinant la carte des Régions (de 22 à 14), l’exécutif veut donner des gages de réforme à Bruxelles, générer des économies d’échelle, et faire émerger des territoires plus puissants et lisibles de l’extérieur. Certes, il y a du bricolage dans l’air. Par exemple, la Picardie n’est pas rattachée au Nord-Pas-de-Calais pour éviter qu’une de ces nouvelles méga-régions ne tombe entre les mains du Front National lors du prochain scrutin, en décembre 2015.

En bas à gauche, il s’agira de marier Brassens et Nougaro, le cassoulet et la tielle, le Capitole et la Comédie, la mer et la terre, Airbus et le pinard. Toulouse en vue ! J’aurai donc le plaisir, avant de mourir, de revoir à la terrasse des cafés des gens lire un journal autre que gratuit. Les plages privées de QI ne seront plus l’unique sol de référence. Peut-être, même, verrai-je des conférences de presse commencer à l’heure. L’occasion, aussi, de découvrir de nouvelles formes de conneries humaines – principal intérêt de tout voyage. N’oublions pas le top avantage de notre nouvelle grande région, dont je suis déjà fier : en plus de l’éternelle Paris, nous avons désormais une deuxième capitale à haïr savamment.

* non, ce n’est pas une faute.