Que nous disent les élections municipales* ?

– Le peuple souverain a du mal à y croire encore. L’abstention se maintient à un niveau élevé, avec des pics inquiétants chez les jeunes. La caste politique est d’évidence polluée par le maintien de ses privilèges, la guerre des egos, la rigidité des appareils et le poids mort des idéologies. Elle le paie au prix fort, dans une période il est vrai apocalyptique – nouvelle poussée du chômage, pacte de responsabilité intraduisible pour les revenus modestes et les petites retraites. Un remaniement cosmétique de lendemain de débâcle ne suffit pas. Des candidats sont élus par un habitant sur dix, voire un habitant sur quinze (en incluant les non-inscrits et les étrangers). Pour la légitimité, on repassera.

– UMP (qui aurait tort de fanfaronner trop vite) et PS ont du pain sur la planche. Des dissidents remportent avec une aisance déconcertante de grandes villes, comme Philippe Saurel à Montpellier ou Robert Ménard à Béziers. Le message de besoin d’air est clair. De quoi alimenter de jolies tables rondes aux prochaines universités d’été de nos partis tradis.

– Le FN n’a pas besoin de payer des chargés de com’ : les médias lui proposent une prestation gratuite et zélée. Sur 9 843 communes de plus de 1 000 habitants en France… 14 seulement sont extrême-droite, pour 3 035 de gauche et
4 542 de droite**. Et pourtant, que de micros et projos pour les affidés de Marine ! A Béziers, la victoire de Robert Ménard, fondateur de Reporters sans frontières, a viré au sacre royal, attirant pas moins de 150 journalistes.

– Des histoires incroyables. A Montpellier, le succès de Philippe Saurel pourrait faire l’objet d’une demi-journée de cours à Sciences Po : sa déclaration dès avril 2010, les conditions de son exclusion du PS fin 2013, la constitution, ensuite, de sa liste citoyenne à géométrie variable, puis l’impact de sa rhétorique anti-système (alors qu’il en a fait partie pendant 18 ans), jusqu’à l’hommage vibrant, hier soir, à son maître-penseur, Georges Frêche. Et, bien sûr, le ralliement de dernière minute (jeudi dernier) à sa candidature de la maire sortante, Hélène Mandroux (PS), qui s’est ainsi habilement vengée d’avoir été éjectée avec inélégance par les siens. Bref, si le PS avait voulu faire exprès de perdre Montpellier, il ne s’y serait pas pris autrement.

– La dimension théâtrale. A Saint-Gilles, dans le Gard, la superstar Collard nous fait lambiner pendant deux heures. Pas totalement pour rien. Comme cette allusion au front républicain, responsable d’après lui de sa courte défaite : « Il y a encore des socialistes qui sont assez cocus pour aller voter UMP et être contents. Ce couple sado-masochiste fonctionne encore un peu, avec les voyeurs de l’UDI. » Ou encore, Saurel : « Je suis socialiste tendance Jean Jaurès, pas tendance Harlem Désir. » J’aime.

– Les sondeurs peuvent aller se suicider. Pour revenir sur le cas de Montpellier, tous les sondages (sauf le dernier, jeudi, alors que les jeux étaient faits) ont donné Jean-Pierre Moure (PS) vainqueur à une écrasante majorité. L’inverse s’est produit. C’est le candidat soutenu par tout le système (agences de communication, monde économique, bailleurs sociaux, tissu associatif, clubs sportifs, parti politique le plus puissant de France) qui a chuté face au cavalier solitaire. A méditer. « Ainsi va la vie politique », a déclaré le vaincu avec dignité, hier soir.

* Exemples puisés en Languedoc-Roussillon, où j’ai eu le plaisir de couvrir les élections à Saint-Gilles, Nîmes, Montpellier et Béziers.
* www.communes.lesechos.fr