Fausses notes. L’ex-enfant terrible du rock français, Bertrand Cantat, 46 ans, annonce ce lundi qu’il renonce à se produire dans les festivals d’été, alors qu’il fait face à une contestation grandissante pour ses concerts. La présence sur scène de l’auteur-compositeur-interprète, condamné à huit ans de prison (et libéré au bout de quatre) pour avoir porté des coups mortels, en 2003, à sa compagne Marie Trintignant, divise la France. Les réactions, jusqu’au sommet de l’État, suite à la parution d’une ‘Une’ des Inrockuptibles à son effigie, en attestent.

Quand un débat est explosif, la meilleure façon de l’aborder sans se fâcher avec tout le monde réside dans la rigoureuse neutralité journalistique. En mode Agence France Presse. Je prends le scoot et le dictaphone et file sur place pour voir et écouter. Comme avant. Comme ce soir. Une soixantaine de membres d’un collectif opposé à la tenue du concert du chanteur, ex-leader du groupe Noir Désir, a interpellé avec véhémence la file de spectateurs se pressant à l’entrée de la salle du Rockstore, au centre de Montpellier.

Cantat divise, entre fans de la première heure « faisant la différence entre l’homme et l’artiste » (Stéphane, 38 ans) et des militants combattant les violences faites aux femmes.
Les membres du collectif, formant une haie de déshonneur, ont harcelé les spectateurs, en criant à leur attention, à deux ou trois mètres de distance : « 19 coups (portés à Marie Trintignant), vous cautionnez ? Elle a agonisé », « Il a tué une femme de 45 kilos à coups de poings », « Vous allez applaudir un meurtrier, quel message vous véhiculez ? Vous n’avez pas honte ? », « Vous banalisez la violence faite aux femmes par votre présence, où est votre conscience ? », « Vous êtes complices ». Comité d’accueil musclé. Les pro-Cantat ne répondent pas. Tout juste quelques baisers narquois à travers les barrières de fortune. Ou cette fan, un peu agacée : « Vous nous faites chier, on a envie d’écouter de la musique ce soir. » Hurlements réprobateurs, devant trois videurs impavides, mâchouillant leur chewing.
Un autre glisse : « Bertrand Cantat a été condamné et a purgé sa peine. Il travaille, comme n’importe qui sortant de taule. »

« Applaudir, c’est cautionner », « Le machisme tue », « Fin des honneurs pour les agresseurs », « Cantat tais-toi », « Stop agresseurs », « Féminicide », pouvait-on lire sur des pancartes ou sur des messages peints à même le sol. Ils auraient pu aussi reprendre le cri de Nadine Trintignant, mère de la victime, qui juge le retour sur scène de Cantat « honteux, indécent et dégueulasse ».

Les arguments pro et anti s’emmêlent sur le dictaphone. Les pros : « On est à l’heure de la censure populaire. Mais il n’a pas fait de publicité autour du concert, il exerce son métier discrètement. Et le concert affiche complet. » ; « Son trajet, parcours musical sont des références. Son dernier album ne verse pas dans la provocation. »

Les antis. « On ne l’empêche pas de travailler, mais de monter sur scène. C’est une question de respect pour la famille Trintignant, et pour les autres femmes victimes de violences. On peut tuer une femme, et ne prendre que quatre ans de prison ? » ; « À partir du moment où on est une personnalité publique, l’image ne nous appartient plus. Cantat n’est pas libraire ou plombier. Son image appartient à tout le monde. On ne veut pas que cet homme-là se produise publiquement. Impossible de dissocier l’artiste de l’homme », lâche Alexia, étudiante en communication de 19 ans. Sylvette, 75 ans, renchérit : « Je ne comprends pas qu’il puisse monter sur scène. Comment l’aduler ? Chanter est son travail ? Et bien, qu’il se reconvertisse ! » Pour Sophie, 45 ans, « Cantat maltraite les femmes, psychologiquement et physiquement. C’est un mec violent. Il doit se faire soigner. Bien sûr qu’il a du talent, mais il a tué quelqu’un ! »

Les avis demeurent divisés au sein même des deux camps. « Ma femme ne m’a pas accompagné ce soir au concert, car ça la dérange trop », précise Christophe, un spectateur. Sylvette confie de son côté « vivre un conflit avec son petit-fils de 24 ans, qui, lui, va voir des concerts de Cantat et l’adore ».

Un peu à l’écart, tenant une rose blanche à la main « pour Marie Trintignant », Sophie concède : « Je n’aime pas cette façon d’agresser verbalement les spectateurs du concert, ça ne me plaît pas du tout. J’aurais préféré quelque chose de silencieux et de plus pacifique. » La seule personne à protester avec modération, ce lundi soir de mars 2018, rue de Verdun, à Montpellier. Le vent nous portera.