« Tous les samedis soir on va au stade chanter ». Et souffrir. Supporter (aux deux sens du terme) une équipe a des conséquences bien pire qu’une vie de couple. C’est une histoire indivorçable. Sauf à ce que le club disparaisse, hypothèse inenvisageable – plutôt perdre dix fois d’affilée contre le voisin honni.
Comme à l’église, il y a des rituels. S’il n’y a pas de places attitrées dans les kops, chacun se met toujours au même endroit, par superstition. On serre la main à des gars dont on ne connaît ni le prénom ni la vie, mais qu’on respecte pour leur assiduité, leur expertise de l’équipe, ou parce qu’on a partagé avec eux un déplacement mémorable.
Le vrai stade, c’est les feux de Bengale, les tifos, les chants, et cette odeur unique où se mêlent pelouse fraîchement arrosée, volutes haschichiennes et relents de pastis. On devrait en faire un parfum pour mecs.

Un supporter digne de ce nom ne va pas au stade pour se distraire, contrairement aux clichés reçus. Il a un devoir vis-à-vis de son équipe : être là dans les pires moments – l’enfer de la Ligue 2, peuplé de formations improbables telles que Sedan ou Niort -, qu’il pleuve ou qu’il gèle ; enseigner à sa descendance le culte du maillot (éternel), et non des joueurs (de passage) ; faire pression sur l’entraîneur pour qu’il arrête de faire jouer tel ou tel caramel mou ; et, bien sûr, siffler l’adversaire, par essence hostile, et l’arbitre, qui a toujours tort.

Le destin doit-il le conduire à vivre à l’autre bout du monde, il continuera à suivre en streaming « son » équipe , avec fébrilité et passion, sous l’œil circonspect de sa belle-famille. Et si son club vient à remporter, par miracle, un trophée inespéré, alors il pleurera de joie, seul devant l’écran, dans une ville endormie depuis longtemps, décalage horaire oblige.

Fight-club (bagarres organisées entre clans rivaux, désireux d’en découdre ‘tranquillement’, loin des forces de l’ordre), déplacements mythiques sur fond de tourisme sexuel, beuveries abyssales, haine des provocations policières et des élites bien-pensantes « qui rongent la colonne vertébrale de l’Europe* »… John King et Nick Hornby, ultras d’outre-Manche reconvertis en écrivains, ont une version moins latine du phénomène. Elle n’en est pas moins drôle et réaliste. A lire avant de mourir.

Le métier de supporter impacte jusqu’à la vie professionnelle et privée. Si le mariage d’un ami tombe un soir de match, le footeux va tenter de dribbler cette encombrante invitation. Ce sera sans compter sur le tacle de sa copine, jalouse de ce ballon rond comme un ventre de fin de grossesse. Un pénalty décisif manqué à la dernière minute, et on se réveille le lendemain avec la gueule de bois. Une victoire décrochée après des semaines de disette, contre le Qatar-Saint-Germain, et le boulot semble tout à coup plus léger et les jobards moins nombreux.
Samedi soir, un responsable de club de supporter m’a glissé : « je lis tes billets du lundi. Tu te drogues, ou quoi ? » Oui, et à la Paillade, coco !

* « Aux couleurs de l’Angleterre », John King.