Combien de nationalités à se côtoyer, en France, sur les chantiers majeurs (EPR de Flamanville, « Pentagone français » à Paris, lignes ferroviaires nouvelles) et mineurs (maisons individuelles, résidences privées,…) ? Des dizaines, par le jeu des sous-traitances en cascade. Polonais, Portugais, Tchèques, Lituaniens, Espagnols,…, parfois employés dans le respect du droit communautaire, parfois par des organisations maquillant le prêt de main-d’œuvre à but lucratif (illégal) en prestation de services internationale (légal). Les entreprises locales, dépassées par cette européanisation du business, en appellent au protectionnisme. Alors que le nombre de chômeurs vient de franchir la barre des trois millions, le discours est audible. On est tous plus ou moins surpris, en côtoyant des chantiers urbains – équipements publics, tramways… – d’entendre parler autant de langues étrangères, et si peu français. Ensemble – une fois n’est pas coutume -, organisations professionnelles (Capeb, FFB), syndicats et services de l’Etat alertent les collectivités locales (70 % de l’investissement public) : à trop opter pour le moins-disant, elles jouent le jeu de certains « casseurs de prix », qui ne cotisent pas en France, foulent au pied les règles d’hygiène et de sécurité et contribuent à détruire un système productif construit à la force du paritarisme – caisse de retraite et de congés payés, minima conventionnels…
Tout cela fait sens. Les contrevenants doivent être poursuivis – dans la limite des moyens actuels, pas folichons, de l’Inspection du Travail et des parquets. La Lettre M mène l’enquête sur ce thème, ce mardi 18 (www.lalettrem.fr). Mais gare au rejet facile de l’étranger. D’abord, du point de vue du droit européen (qui s’impose au nôtre), l’offre d’une entreprise étrangère ne peut être rejetée uniquement parce que cette entreprise est étrangère. C’est ainsi, et c’est tant mieux. D’autre part, il est des travailleurs étrangers qui effectuent un boulot remarquable : les Baltes pour les métiers de coffreurs-bancheurs par exemple, métiers jugés trop fatigants par les Français. Troisième point, les entreprises françaises ne sont pas en retard sur leurs voisines en matière de travail dissimulé et autres infractions. Quatrième remarque : les huiles du BTP qui en appellent à la préférence nationale sont souvent eux-mêmes issus de l’immigration (italienne, espagnole…). Il faudrait savoir. Par ailleurs, le problème ne réside pas dans les étrangers eux-mêmes, mais dans l’absence d’harmonisation fiscale et sociale au sein de l’UE. Enfin, les grands groupes français de BTP se gavent eux aussi à l’étranger, sans se soucier outre mesure de la santé des PME du coin. L’homme est un loup pour l’homme, dans toutes les langues de tous les pays.