Rester connecté aux autres, quels qu’ils soient, d’où qu’ils viennent, même un instant, même les cons. Il en va d’un équilibre intérieur, d’une respiration relationnelle, d’un sens à ma vie. Bien sûr, avec ce coquin de temps qui passe, naissent une esquisse de reconnaissance sociale, un réseau grandissant, quelques euros en plus. On en est tous là. Bien sûr, les adultes sont des gens sérieux qui se prennent au sérieux. Bien sûr, grande est la tentation de rester claquemuré, dans un entre-soi ouaté. Les salons VIP plutôt que le kop ou le dancefloor, les places à l’ombre plutôt que les amphithéâtres pour la corrida, les cocktails déjeunatoires plutôt que l’apéro, le 4 étoiles au lieu du camping. Bien sûr, l’impérieuse solitude réparatrice, une fois posées les armes des mots, et qu’on ne veut plus voir ni entendre personne.

Mais la vie, c’est les autres, quels qu’ils soient, d’où qu’ils viennent, quand bien même Jean-Paul Sartre les affuble d’enfer. Ils sont le peuple, dans toute sa diversité. Sa bêtise et sa violence, mais aussi sa jugeote et son instinct de fin de mois difficile. C’est ainsi que j’aime les tribunes populaires des stades, les kebabs poisseux, les piscines municipales toutes grouillantes de familles nombreuses, ou les racailles ivres du vendredi soir – que j’appelle d’ailleurs « mes racailles » -, moins irrécupérables à mes yeux que les fous de la tondeuse du samedi matin.

Le journalisme pousse dans les cordes. Il faut aller à l’envers de soi. Je ne compte plus les couvertures de meeting de partis politiques dont je trouve les messages archaïques et/ou absurdes. Et je collectionne les manifs pro ou anti-retraites ou mariages gay, aux messages contraires mais d’un égal sectarisme. Le but ne consiste pas à juger, mais à comprendre et relater, au plus près des couleurs.

Parlez donc au clochard du coin de la rue, au moins une fois, même si vous êtes pressé. Le mien, il pue la vinasse, ses ongles font trois centimètres de noir. Mais il m’en a dit plus que je n’en savais sur l’histoire de ma ville, et m’a conseillé la lecture, « pour tes vacances » (sic), de « Naissance » de Yann Moix. « C’est le prix Renaudot 2013, lis-le, ça bouscule ! » 1 152 pages, en effet ça va bousculer…

Certaines professions, et pas des plus convoitées, amènent à côtoyer la population dans ses grandes largeurs : flics, pompiers, profs, politiques, commerçants, personnels d’hôtels ou de café-hôtel-restaurant, personnels soignants, contrôleurs SNCF… Qui n’a pas moqué une fois dans sa vie la sombre vie d’un vigile de supermarché ou d’un serveur ? C’est de bonne guerre. Mais n’oublions pas l’incomparable goût des autres.