Enfin, on se gèle ! Plaisir de grelotter dans le froid sec de l’hiver, mordant à souhait. De rentrer, tout revigoré, dans un bar chaud et bruyant. Pour les chanceux, joie ultime de se balancer des boules de neige dans la tronche, histoire de perdre 30 ans d’un coup. Les enfants disparaissent dans la rue, fantômes couverts d’écharpes, de bonnets, de moufles, d’anoraks. Le mistral souffle, la parole se fait rare. On ressort les appareils à raclette oubliés. Bon, on va pas faire non plus un poème éculé sur les blancs manteaux recouvrant la nature. Mais s’ils fournissaient des reportages tout cuits aux journalistes, ce printemps précoce, cet été indien indu, ces bains de mer de décembre, avouons-le, revêtaient un air de fin du monde tout à fait désespérant.

Et tout à fait préoccupant. D’un point de vue purement macroéconomique, un impact sur la croissance, avec une faible consommation d’électricité et de gaz pour les foyers. Et, dans nos campagnes, un grand frisson parcourt les producteurs de fruits et légumes. Zoom sur la plaine languedocienne et le Roussillon, première région française pour la production de pêches et deuxième, après la vallée du Rhône, pour les abricots. Là, dans les vergers, le froid est guetté avec une anxiété croissante, au fil d’hivers de plus en plus cléments. « Pas de froid, pas de fruit, résume Raphaël Martinez, directeur de la Fédération des fruits et légumes en Languedoc-Roussillon (27 adhérents). Il faut entre 600 et 800 heures (selon les espèces et les variété) d’une température inférieure à 7 degrés pour permettre aux végétaux de fleurir et d’aller jusqu’au fruit. » Pour l’heure, le compte n’y est pas : environ 300 heures dans les zones les plus chaudes, en plaine, et environ 500 heures plus au nord, par exemple dans la vallée de la Têt dans les Pyrénées-Orientales, connue pour sa production de pêches.

Autre effet négatif : l’hiver doux entraîne l’apparition de bourgeons précoces sur les amandiers, les mimosas et les abricotiers. « Or, ces plantes ont une sensibilité au froid plus importante. Et février est statistiquement le mois le plus froid de l’année… », précise l’expert. « Les pruniers américano-japonais et les abricotiers donnent déjà des signes de floraison pour fin janvier, s’exposant au risque de gel jusqu’à mai », ajoute de son côté Yvon Sarraute, producteur de fruits à Meauzac (82) et responsable de la filière à la chambre d’agriculture du Tarn-et-Garonne, un département où sont produits 300 000 tonnes de fruits par an, dont deux tiers de pommes.

L’impact de la répétition d’hiver doux n’est pas neutre. Le risque n’est pas assurable pour les producteurs. Intégrer des adaptations de variétés ? « Changer un verger, c’est long. Il faut une génération… », répond Raphaël Martinez. La filière fruits et légumes se déploie sur 30 000 hectares (deux tiers de fruits), emploie 9 000 salariés dans l’ancienne région Languedoc-Roussillon, pour un chiffre d’affaires de 500 millions d’euros, dont 323 millions d’euros pour les fruits… frais.