C’est probablement à disséquer sur le divan : si le chemin à prendre ne monte pas, et qu’il n’y a pas un sommet, au bout, à conquérir, ça ne me va pas. Quand il s’agit d’aller se balader loin du béton, des punks à rats et des poubelles (pas trop loin ni trop longtemps, hein), chips et eau fraîche dans le dos, rien de tel qu’une ascension. Je n’imagine pas autre chose. Et laisse aux téméraires de la monotonie le soin d’avaler des kilomètres de pistes dans des sous-bois humides et impénétrables, peuplés d’animaux indéterminés pour un urbain, de boucler des tours de lacs, de sillonner les semblants de faux-plats, de s’ensabler en bord de mer.

On a chacun ses monts préférés. Et la liste en dit long comme une fadette de téléphone mobile. Puy-de-Dôme ou Sancy en Auvergne, Pic-Saint-Loup ou Saint-Clair en Languedoc, Canigou en pays catalan, Mont Aigoual en Lozère, Ventoux en Provence, Rhune au pays basque, dune du Pilat à Arcachon : chacun de ses sommets hexagonaux m’a offert, tour à tour, été après automne, ses fragrances, ses pentes familières, son panorama enivrant, ses rocs pavés de fleurs, ses refuges austères, ses croix culminantes et ses autres randonneurs prononçant invariablement et mystérieusement, lorsqu’on les croise, « bonjour » – comme dans les ascenseurs. Chacun de ses sentiers se mérite raisonnablement. Pas question, en effet, de risquer sa vie dans des cordées de haute montagne, quand on n’a pas le niveau.

Bien sûr, on peut s’amuser à déclencher le chronomètre, participer à des challenges sportifs extrêmes – 4.000 marches, Championnat du Canigou, Ultra Tour des 4 massifs en Isère ou du Mont-Blanc…, ou, peut-être encore plus fada, escalader plusieurs fois d’affilée, en solo, la même difficulté.

Plus simplement, l’ascension sans montre au poignet, c’est le plaisir de s’élever – des soucis, des fautes, des autres, des angoisses. Prendre l’air par la main. Se sentir libre. Se croire perdu. Chercher son souffle avec délice. Être assailli d’idées inédites pour la famille, les amis, le travail. Non, ne pas les noter. Oser les horaires décalés – partir de nuit, pour arriver là-haut au lever du soleil. Parfois, soyons francs, subir une grosse fringale, et dévorer, une fois le but atteint dans la douleur, un paquet de cookies bien chimiques en moins de deux minutes, sous le regard navré de couples parfaits, transpirant à peine, tout juste lestés d’un taboulé maison et d’une banane bio chacun. Scène qui fait aussi partie du charme inégalé des ascensions.