Le football, sport de gentlemen pratiqué par des voyous*, raffole des histoires d’injustice. Inutile à l’auteur de ces lignes de surfer sur Internet pour glaner les détails des trois anecdotes qui suivent. Tout a été conservé dans la mémoire vive du disque dur cérébral – s’il en avait pu être de même pour les cours de droit et d’économie à la fac, je serais à cette heure député LREM, en train d’accomplir un destin merveilleux. À défaut, contons ces trois histoires pas jolies, au terme desquelles, vous le remarquerez, le tricheur gagne toujours à la fin.

Juillet 1982, coupe du monde en Espagne. Lors de la demi-finale entre la France et l’ex-RFA, le gardien de but allemand Schumacher agresse (coup de pied dans la mâchoire) le joueur français Patrick Battiston, lors d’un face-à-face resté mythique. Ce dernier s’en sortira avec quatre dents fracturées, une commotion cérébrale et une vertèbre fissurée. Cela aurait pu être beaucoup plus grave. Alors que Battiston est évacué sur la civière dans la nuit sévillane, l’arbitre et le portier allemand discutent le bout de gras en se marrant. Aucune sanction n’est prononcée à l’encontre de l’agresseur – ni carton jaune, ni carton rouge, ni pénalty pour la France. Et, à la fin, l’Allemagne gagne le match.
En 1986, lors de la coupe du monde suivante, au Mexique, le joueur argentin Diego Maradona marque un but de la main (ce qui est interdit, petit rappel à mes amis non-footeux) contre l’Angleterre, en quarts de finale. Avec leur fair-play légendaire, les Anglais protestent mollement contre cette erreur d’arbitrage, pourtant grotesque. Et lourde de conséquence, puisqu’ils perdent la partie.
En novembre 2009, au terme d’un match d’une rare médiocrité, la France arrache, à Paris, son billet pour la coupe du Monde en Afrique du Sud, en inscrivant un but illicite face à l’Irlande, après que le Français Thierry Henry a contrôlé le ballon de la main (ce qui est, 23 ans après, toujours interdit). Un beau message envoyé à tous les éducateurs sportifs par le capitaine tricolore. Six mois plus tard, les Bleus échoueront lamentablement lors de cette coupe du Monde, au cours de laquelle on aurait préféré (sponsors et diffuseurs exclus) voir évoluer les gars de Dublin.

À l’heure des objets connectés, de la réalité virtuelle, de l’électronique embarquée et des réseaux sociaux, de telles aberrations, dans des spectacles recelant autant d’enjeux, sont devenus intolérables et archaïques aux yeux d’une grande partie du public. Et d’une bonne partie du monde du football lui-même. Des anciens s’accrochent certes au « charme » de la « glorieuse incertitude du sport ». D’autres soutiennent qu’au final, « les erreurs d’arbitrage s’équilibrent ». Pas sûr que les Français de 82, les Anglais de 86 ou les Irlandais de 2009 le perçoivent ainsi.
Il est donc logique que l’arbitrage vidéo se généralise, pour aider des arbitres qui doivent décider en une fraction de seconde, dans un contexte de très grosse pression (supporters, joueurs, entraîneurs). Beaucoup d’argent en jeu. « Quand on arbitre, ce n’est pas un joueur qu’on a face à soi, mais une PME. Pensez aux millions d’euros qu’il brasse… », me confie un ancien arbitre professionnel.

Le mouvement semble inéluctable. Déjà en place en Italie et en Allemagne, l’arbitrage vidéo va être expérimenté en France lors du prochain tour de la Coupe de la Ligue. Et sera en vigueur lors de la coupe du monde en Russie, en juin et juillet prochains. D’après un protocole établi par la Fifa (instance internationale du football), il ne s’applique que dans quatre situations de jeu, regroupant 80 % des actions litigieuses : but marqué ou pas (franchissement de la ligne par le ballon, situation de hors-jeu ou pas), situation liée à un pénalty (faute ou pas faute, en dehors ou dans la surface de réparation), identité d’un joueur exclu, carton rouge ou pas. « Ça va aider les arbitres, qui auront un peu moins de pression ! Et on évitera les casses du siècle, ajoute cette source, souhaitant rester anonyme. Cela ne résoudra pas tout, mais on pourra rétablir la justice sur les faits importants. » Le risque d’un spectacle trop haché ? « Non. Les situations peuvent être vérifiées en 30 secondes. Les cas plus longs existeront mais resteront rares. Cela vaut le coup. »

La technologie soutiendra donc le corps arbitral. Soit. Mais les joueurs et les staffs pourraient aussi, de leur côté, faire preuve, parfois, d’un peu d’honnêteté et de bonne foi. Du genre : « J’avoue, le ballon n’est pas rentré dans le but », « Non, il n’y a pas pénalty pour nous, Monsieur l’arbitre », « La touche est bien pour l’adversaire ». Ou, au pire, ne pas lui sauter dessus à la moindre occasion. Mais aucun protocole international, ni aucune machine, ni aucun arbitre, n’a encore pu introduire de telles résolutions de valeurs dans l’âpre âtre du football.

* Le rugby étant, de son côté et selon la formule, un sport de voyous pratiqué par des gentlemen.