Mettre la plume dans la plaie, disait Albert Londres, écrivain et pape du journalisme d’investigation, quand il s’agissait de définir son métier. La plume est aujourd’hui plus mise où ça plaît que dans la plaie.

Dans mon Sud d’adoption, j’ai fait « noooooonnnnn !!!! » à deux reprises ces dernières semaines, m’étant retrouvé quasiment le seul journaliste présent pour deux points presse pourtant lourds de sens : l’un sur l’apprentissage, organisé par la Région et l’Etat dans un CFA du BTP du quartier de la Mosson, à Montpellier ; l’autre sur l’emploi, donné par la nouvelle directrice régionale de Pôle emploi. Dans une région ravagée par le chômage et le travail au noir, ces rencontres un brin techniques sont des mines d’infos, avec l’ensemble des sachants à portée de main. Les couvrir relève du devoir journalistique le plus élémentaire.
En parallèle, les points presse de la Nouvelle Star, Philippe Saurel, nouveau maire de Montpellier, font à chaque fois salle comble, même pour des sujets mineurs – présentation, à quelques jours d’intervalle, de deux de ses nouvelles collaboratrices de cabinet. Vieille stratégie du story telling. L’élu DVG le dit lui-même : « avec les médias, je me régale. » Inutile, pourtant, pour lui, de déployer trop d’effort : la politique sera toujours plus forte que les enjeux de l’emploi. Il fallait voir les envolées, sur fond de tutoiement, entre mes confrères et Philippe Saurel sur les élections sénatoriales (alliances, listes….) de septembre. Je n’y ai rien compris, mais ça semblait être passionnant.

Totalement sinistrée, la profession de journaliste est plongée dans un coma profond, maintenue en vie par des injections d’aides publiques. Face aux quotidiens gratuits, aux médias sociaux, à la blogosphère, au management collaboratif et à l’ère digitale, les journalistes de presse écrite brandissent leurs cahiers/stylos et se battent des vies entières, dans les couloirs des rédactions, pour décrocher des titres anachroniques – chef, chef adjoint, directeur machin… -. Du coup, à l’extérieur, ils ne disent plus qu’ils sont journalistes, mais chef, chef adjoint ou directeur machin. Le mal français appliqué aux plumitifs : le statut avant le job, et à la place du job.

Souvent, mes confrères aiment à défendre la veuve et l’orphelin. C’est même jugé comme la quintessence de la profession. Si vous voulez avoir une chance de décrocher un prix quelconque, faites un reportage (par ordre décroissant de sujets dignes d’intérêt aux yeux du jury) sur les Roms, les mariages forcés dans les cités ou les jeunes homosexuels refoulés par leur famille. Moins vendeurs, car trop estampillé XXème siècle, les drogués et les clochards. Surtout, évitez les suicides chez les policiers : sujet marqué à droite. Pas bien.

Paradoxalement, ces mêmes confrères, soi-disant empreints de justice sociale, sont aussi les premiers à accepter, et donc favoriser, des conditions de travail dignes d’un roman de Zola – revenus de misère, salariat déguisé à travers le statut d’autoentreprise, enchaînements illicites de CDD, pas d’entretien annuel, ni de séminaire d’intégration, ni de rencontre avec la DRH…

J’ai ma conviction sur les médias qui survivront. Ils seront hyper spécialisés, ou alors sauront divertir, ou encore pourront décrypter, clarifier, rappeler les éléments de contexte, mettre en perspective. Face à une déferlante de données, les citoyens attendent des pros de l’info une vraie expertise, une hauteur de vue et l’indépendance d’esprit.

Le billet du lundi revient le 1er septembre. D’après mes sources, d’ici là, vous allez lui manquer !