« Tu veux toujour pas nous écoutés ! Temps pis pour vous, vous vous fère soté ! Toi et ton CON de MACRON. » Voici le texte d’une lettre anonyme que le député LREM de l’Hérault Philippe Huppé dit avoir reçue d’un gilet jaune, et qu’il a postée sur son compte Facebook ce lundi soir. Je reste prudent, car la qualité de l’écriture jure avec les fautes, sur la photo. Avec, comme commentaire : « Parmi les nombreuses lettres reçues, voici la perle des anonymes. Eh non, ce n’est pas une blague. Il vaut mieux en rire. » Fake news ou pas sur cet exemple, peu importe. Les fauves sont lâchés. Le domaine viticole audois d’une autre députée, Mireille Robert, a été envahi par un commando de 40 individus, dans la nuit du 23 au 24 novembre.

Ce n’est plus scène ouverte, mais haine ouverte. Les réseaux sociaux jouent ce rôle de grande caisse de déraisonnable résonance, de cacophonie perpétuelle, de lieu anonyme pour les pires invectives. Dans le réel aussi, l’agressivité est de mise. Les technologies ne sauraient être tenues pour responsables de cette évolution. Elles ne rendent pas les gens ainsi, et peuvent par ailleurs être de formidables outils de veille, d’information et de promotion professionnelle. Les réseaux sociaux reflètent ce que nous sommes, tout simplement.

Face au phénomène très médiatisé des gilets jaunes, il convient de rappeler cinq vérités.
1 – Pour visibles, médiatisés, spectaculaires, violents et perturbateurs qu’ils soient, ils ne pèsent pas, en nombre, grand-chose : 100 000 sur 67 millions d’habitants, soit 0,14 % de la population.
2 – Il n’y a pas eu qu’eux dans les scènes de guérillas urbaines auxquelles ont dû faire face les forces de l’ordre, samedi à Paris. Le Parisien l’explique bien, infographie à la clé (bit.ly/2EbXoLY). Une joyeuse mixité républicaine, entre antifas, ultra droite, gilets jaunes radicaux – provinciaux, père de famille, inconnus des services de police et venus en découdre -, et jeunes de banlieue.
3 – Leurs revendications sont, d’un point de vue économiques, contradictoires – moins de taxes et d’impôts, mais pas moins de services publics -, comme le rappellent Les Échos (bit.ly/2Ryvxsj).
4 – Les conséquences des blocages à répétition sur la consommation et l’emploi se révèlent désastreuses, avec, en point d’orgue tragicomique, le fait qu’ils prennent en otage les leurs, à savoir les classes moyennes. Des demandes de chômage partiel ont été formulées par des entreprises empêchées. Pendant que les Gafa&co continuent, peinards, à échapper à l’impôt.
5 – Tout, décidément, devient sujet à hystérie : l’emballement médiatique qui a fabriqué, comme dans un film américain, l’élection de Macron en mai 2017, sans qu’aucun des sujets de fond – temps de travail, âge légal de départ à la retraite, niveau de la dépense publique, nombre de fonctionnaires, réponse globale au défi climatique, crise migratoire… – n’ait été réellement abordé. Une forme de prouesse, sur fond de lobotomisation collective. Puis, 18 mois plus tard, le même emballement médiatique qui fabrique, comme dans un film américain, la chute de Macron en décembre 2018, sans qu’aucun des sujets de fond ne soit toujours abordé. Je ne crois à aucun de ces deux emballements. Le chef de l’État n’est ni le sauveur présenté dans l’acte 1, ni l’élu vilipendé dans l’acte 2. On se calme.

Une chose semble certaine : l’Europe se meurt et le monde penche à l’est. L’agence Associated Press, pour laquelle j’ai collaboré entre 2004 et 2009 – ce qui m’a permis de couvrir notamment la campagne victorieuse d’un autre sauveur déchu, celle de Nicolas Sarkozy, en 2007 – m’avait fait gentiment parvenir une note interne de la direction de New York : « Nous considérons que l’actualité du 21e siècle se jouera essentiellement dans les pays arabes et en Asie. Nous fermons donc des bureaux en Europe et recrutons des journalistes qui parlent arabe ou mandarin. » C’était il y a dix ans. Comme je n’avais pas de gilet jaune dans mon coffre, et instruit par ces perspectives enthousiasmantes, j’ai créé mon blog et me suis lancé dans l’animation de tables rondes. Diversification, sans haine à la fin.