Il y a trois ans et demi, deux fous de Dieu dézinguaient à Paris les caricaturistes de Charlie Hebdo, un matin de janvier, en pleine conférence de rédaction. Aujourd’hui, annonce bien moins assassine mais clairement vicieuse, la chaîne Canal + met fin à l’émission satirique Les Guignols de l’info. Créés en 1988, les marionnettes ne sont plus au goût de l’homme d’affaires Vincent Bolloré, propriétaire du média. Resteront, dans une sorte de Grévin cathodique, éclectique et électrique, l’inamovible PPD, Johnny et sa boîte à coucou, DSK et son peignoir léopard, JPP (Jean-Pierre Papin) épelant son nom « P-a-p-1 », le commandant Sylvestre en beauf américain raciste et va-t-en-guerre, le cycliste Richard Virenque dopé « à l’insu de son plein gré », ou, bien sûr, le couple Jacques et Bernadette Chirac, rendu sympathique en diable, lui avec son sobriquet de « Super-menteur » et son air faussement benêt, elle avec son sac à mains et ses pièces jaunes.

Bolloré reproche aux auteurs des Guignols un « abus de dérision » et une tendance à « se moquer des autres ». Bien sûr, les auteurs des Guignols ont fait du mal, avec leurs sketchs, aux familles de leurs cibles, en les raillant toujours, en les ridiculisant parfois. Et alors ? C’est la sève d’une démocratie en vie. Peut-être l’émission arrivait-elle au bout de son histoire, tout simplement. Je n’en étais pas un inconditionnel. Cela étant, lorsque je tombais dessus, quel régal d’ironie, d’actualités traitées de façon abrasive, de gauloiserie, de cathartique dérision. Impossible de s’endormir devant. Pas toujours fin. Tant mieux. Je reste en revanche un inconditionnel du message de liberté porté par cette émission.

L’élimination programmée des Guignols, déjà en perte de vitesse après une rétrogradation en crypté, laisse place, plus largement, un peu partout, au lisse, au fade, au prévisible, au consensuel, aux indignations marketées. Pas de commune mesure entre les prétendues « punchlines » (phrases choc) d’aujourd’hui et les saillies d’un Pierre Desproges, qui commençait l’un de ses spectacles par « Il paraît que des Juifs se sont glissés dans la salle », ou se moquait de sa propre mort, sur scène, alors qu’il se savait condamné par un cancer.

Grand paradoxe de l’époque : jamais les médias n’ont été aussi pluriels, jamais les possibilités de s’exprimer aussi nombreuses avec les réseaux sociaux, jamais un président de la République n’a été aussi jeune, et jamais la parole n’a été autant formatée, uniforme, conformiste, comme bridée par un manque de mots disponibles. D’ailleurs, tout le monde se fout de la fin des Guignols. On ignore par quoi ils seront remplacés, mais on sait déjà que ça sera beaucoup moins drôle. Fini de rire.