De scrutin en scrutin, le Front national, métamorphosé depuis 2010 par Marine Le Pen et boosté par les crises – économique, identitaire, sociale, financière, de sécurité intérieure -, progresse. Inexorablement. A l’issue du premier tour des élections régionales, hier soir, le parti d’extrême-droite caracole en tête dans six régions sur treize, avec parfois une avance écrasante, impensable il y a seulement un an, sur ses poursuivants – jusqu’à 15 points d’écart en Nord-Pas-de-Calais/Picardie et Paca -. Il est en passe de remporter entre une et trois grandes collectivités. Enfin, il arrive en tête des suffrages au niveau national, devant Les Républicains et le PS. Le tripartisme fait désormais partie du paysage politique française.

Le vote FN, que l’on aurait trop vite fait de résumer au camp d’abrutis xénophobes, agrège, entre autres, les ouvriers, les petits commerçants, les artisans, les classes moyennes, des jeunes (le FN vire en tête chez les 18-24 ans), les déçus de gauche, les cathos intégristes, les souverainistes, les nostalgiques de l’Algérie française, les chômeurs, et toute une frange vieillissante de la France. Pour info, l’élection présidentielle se jouera principalement, à l’horizon 2050, auprès des électeurs âgés de plus de 60 ans. Ça fait rêver.

Côté pile : la poussée frontiste est logique. Elle vient sanctionner 40 ans de laxisme judiciaire, de réduction de moyens sur les fonctions régaliennes de l’Etat (police, justice) malgré des niveaux de dépenses publiques par ailleurs astronomiques, de jeu gauche/droite stérile, d’incapacité à réformer l’économie du pays, de chômage de masse organisé, de perte d’autorité et de respect de l’autorité, de naufrage européen, de fiscalisme, de dirigeants baroques, qui ne paient pas leurs impôts et leurs factures par phobie administrative, font de l’évasion fiscale en Suisse, amènent Jean-Marie Bigard dans un voyage présidentiel au Vatican, ou cherchent à placer leur fils encore boutonneux à la tête du quartier d’affaires de La Défense.

Côté face : le FN n’apporte aucune réponse concrète à cet attendrissant tableau. Et puis, et c’est le méditerranéen qui parle, la vraie vie exige certes une lutte à mort contre les islamistes radicaux et le voile intégral, mais exige aussi l’ouverture aux autres, les voyages au Maroc, la culture partout, tout le temps et pour tous ; Exige l’Orchestre national de Barbès, les médiathèques de quartier, les matchs de foot multi-confessionnels, l’épicerie arabe ouverte le dimanche – sans grève des syndicats.

La conclusion aux médias étrangers. Pour le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung, les explications de la situation « ne peuvent pas être trouvées dans le FN lui-même. Sans cesse les partis établis ont promis des changement et des réformes, mais ils ont seulement très peu réformé ». Pour l’Italien Corriere della Sera, si Marine Le Pen, « personnage anti-système, conquérait aussi Paris, ce serait la fin de l’Europe. D’ailleurs, bien que la majorité des Français aient du mal à penser que Marine Le Pen puisse devenir présidente, depuis que la terreur lui a déclaré la guerre, la France marche sur un terrain inexploré ».