La grève perlée (deux jours par tranche de cinq) et dont on parle, que lancent demain des agents du groupe ferroviaire public français SNCF, à l’appel des syndicats, pour une durée de trois mois, s’annonce très suivie, au moins pour son lancement. La direction de la SNCF tient à décourager les passagers les plus optimistes et à informer les moins connectés, anticipant « un trafic très perturbé », avec un TGV sur huit, un TER sur cinq ou encore un Intercités sur six entre Bordeaux et Nice ce mardi.

Les grévistes entendent faire pression sur le gouvernement, qui prépare une réforme prévoyant notamment l’ouverture à la concurrence et la fin progressive du statut de cheminot – pour les seuls nouveaux embauchés – et la transformation des deux principales entités – SNCF Mobilités et SNCF Réseau – en sociétés anonymes à capitaux publics. Transformation perçue par Sud Rail comme « un premier pas vers la privatisation ».

Les (nombreux) salariés non-grévistes du groupe seront envoyés au casse-pipe dans les gares, devant endosser « volontairement » des gilets rouges et réciter aux voyageurs naufragés qu’en effet, c’est le bazar aujourd’hui, que les renseignements sont affichés sur les panneaux et sur Internet et qu’il ne sert à rien de s’énerver.

Outre le mauvais signal envoyé à l’international – ces indécrottables Français -, le mouvement social semble tout droit sorti de l’âge… du fer. Le droit de grève, un droit constitutionnel ? Certes, mais jamais exercé dans des dizaines de milliers de TPE-PME. Et demain, des millions de personnes, pas parmi les plus fortunées ni les moins méritantes, dépendant directement du train dans leur vie quotidienne, auront les pires difficultés à se rendre sur leur lieu de travail ou de formation. Tout le monde ne possède pas son propre véhicule, ou n’est pas encore enchâssé dans les solutions numériques potentiellement miraculeuses dans cette galère, type Blablacar, Less, OuiHop, Karos, CarJob ou Coovia. Tous les employeurs n’acceptent pas le télétravail. Tous les métiers ne se prêtent pas au télétravail. Par ailleurs, sujet tout juste effleuré dans la presse généraliste, les opérateurs privés de fret ferroviaire (Colas Rail, Euro Cargo Rail, ETF Services, Europorte, OSR France…) seront eux aussi impactés, et une partie de l’activité économique avec.

On l’écrit peu : des salariés de la SNCF éligibles au statut de cheminot l’ont refusé, jugeant ce statut moins intéressant, en termes d’évolution de carrière, de souplesse et de retraite, qu’un contrat de travail de droit privé. Le bras de fer engagé par une partie de la SNCF avec l’équipe Macron apparaît, de fait, peu compréhensible, en tout cas plus politique que social.

Ce mouvement pénalise aussi la SNCF elle-même. Pour le fleuron industriel tricolore, ce n’est pas le moment. Le groupe dirigé par Guillaume Pépy fait face à une dette abyssale (environ 54 milliards d’euros). Le réseau existant doit être régénéré, notamment en Île-de-France. D’autre part, il s’agit de faire aimer le train au plus grand nombre, à l’heure de la mobilité durable et des défis environnementaux. Le ferroviaire, quand il ne fait pas grève, y a toute sa place, pour sa robustesse globale et sa capacité à pénétrer le cœur des métropoles. Enfin, la SNCF doit accélérer sur la digitalisation, à la fois pour l’exploitation commerciale et la maintenance de son réseau, comme l’a rappelé dans La Lettre M Alain Quinet, directeur général délégué de SNCF Réseau, le 30 mars (bit.ly/2pZolsF).

La grève de la SNCF est en tout cas déjà un business pour ses concurrents. Un exemple au hasard : le 2 avril, le prix d’un billet Air France au départ de Montpellier, pour Paris Orly, s’élève à 102 € le samedi 12 mai (pas de grève des trains), pour s’envoler mystérieusement à 366 € le samedi 14 avril (grève des trains). Tous les coûts sont permis.