C’est le grand drame du modèle économique de la presse écrite. Les journalistes tiennent absolument à signer les papiers qu’ils écrivent, mais les éditeurs qui les emploient, concurrents au quotidien, peinent à s’unir pour défendre la profession et monétiser efficacement le pillage numérique de leurs contenus par les plateformes américaines. Ce mardi à Paris, le groupe Les Échos-Le Parisien accueille un colloque bienvenu, sur le thème « La bataille pour des droits voisins, ou comment financer une presse libre et indépendante près de chez vous »*. Des « droits voisins » qui s’invitent dans la réforme européenne du droit d’auteur, proposée en 2016 par la Commission européenne pour le moderniser à l’ère du numérique. Il était temps. Le principe ? Inciter les plateformes à mieux rémunérer les créateurs de contenus et, par extension, les éditeurs de presse.

Le débat semble technique, mais touche à quelque chose d’essentiel : la valeur et la singularité d’une production, et la perception par son auteur – ou son éditeur, en matière de presse – d’une rémunération. Alors que les géants de la tech, Gafa en tête, brandissent, dans l’intense campagne de lobbying en cours, des arguments prévisibles :  liberté, gratuité ou universalité de l’espace web. Fin août, plus d’une centaine de grands reporters et rédacteurs en chef de l’Union européenne ont cosigné une tribune appelant à les protéger juridiquement, après que le Parlement européen a rejeté début juillet une réforme du droit d’auteur.

Le combat paraît perdu d’avance. Que valent les plumitifs à vélo du Vieux continent, peu considérés par l’opinion publique et organisés façon puzzle, face à des capitalisations boursières supérieures à 1 000 milliards de dollars (pour Apple et Amazon) ? Rien, si l’on présente les choses ainsi. Et pourtant. Le festival de photojournalisme Visa pour l’Image, dont la 30e édition se déroule en ce moment à Perpignan, ne continue-t-il pas à attirer des sponsors prestigieux, et des dizaines de milliers de visiteurs venant voir « le monde tel qu’il est » ? Les médias du prétendu ancien monde ne restent-ils pas de puissants vecteurs de pouvoir, souvent détenus par des fleurons tricolores (Bouygues, Dassault, Niel, Lagardère, LVMH, SFR…), et capables par leur force de frappe de créer les débats, toucher les opinions, bouleverser les consciences ? Pouvoir parfois fantasmé, aujourd’hui contesté par de nouvelles formes d’information, mais souvent bien réel. « C’est dans le journal », voilà une phrase qui sonne encore un peu partout.

Pour conclure de façon égocentrée et un peu décalée, car il s’agit dans cet exemple final de composition écrite plus que d’information pure, je reprends un modeste discours, prononcé en tant que témoin lors d’un mariage, ce week-end. Les convives – des inconnus, en majorité – et les jeunes mariés m’ont dit l’avoir trouvé « drôle et juste ». J’en déduis que ces quatre minutes de mots les ont touchés. Flatteur, mais surtout revigorant : notre métier – écrire et dire – requiert donc quelques compétences encore appréciées, qui doivent être défendues. Et ça, vous pouvez le partager sur les réseaux sociaux !

* En présence de 120 représentants de la presse, experts des médias et décideurs politiques, à deux jours d’un nouveau vote au Parlement européen à Strasbourg.