Comme chaque année, Marie Drucker va nous vendre, ce 14 juillet, la puissance militaire tricolore – combien de stagiaires sous-payés pour lui préparer ses fiches ? Comme chaque année, on ne regardera pas. Le 14 juillet, son patriotisme désuet, ses affreux d’artifices, ses bals dans la tête. C’est aussi le jour, en filigrane, de Jacques Chirac, charismatique amoureux de la France. Il fallait le voir, discuter le bout de gras sur les marchés, enfiler bières et charcuterie au salon de l’agriculture et répéter invariablement à ses hôtes, partout où il passait : « C’est le plus bel endroit que j’ai jamais vu ! » Dans un PMU ou à l’ONU, il captait la lumière. Lors de la Coupe du monde 98, quand il débarque dans les vestiaires des Bleus victorieux, flanqué de son numéro 22, on ne voit que lui.

Non sans humour, ses adversaires les plus convaincus saluent son art de l’esquive. « Le roi de l’évasion », titrait Libération en 2010, après que la Chiraquie a obtenu un arrangement avec Bertrand Delanoë, maire de Paris, dans l’affaire des emplois fictifs. Le faux documentaire « Dans la peau de Jacques Chirac » (2006), zoome avec bonheur sur 40 ans de contradictions, magouilles, mensonges et violence politique. En fin connaisseur, l’intéressé apprécia.
Chirac, la classe. En 1995, sitôt élu, il condamne le rôle de la France dans la rafle du Vel d’hiv. Plus tard, en visite en Province, à un opposant qui le traite d’« enculé », il répond : « Non, moi c’est Chirac. » Plus fin : à partir de 2007, son successeur n’a cessé d’attaquer le bilan et la méthode Chirac, lequel n’a jamais riposté ni émis le moindre commentaire sur l’action de Sarkozy. Faut-il le rappeler : Chirac n’a jamais accepté le moindre compromis avec le Front national, taxé de parti « xénophobe et raciste ».

Ses deux filles résument sa vie-bataille. La plus âgée, atteinte d’une maladie mentale, souffrait de voir son père courir le monde, pour y chercher je ne sais quelle absolution, sans accorder de temps aux siens. Alors, Chirac faisait tout pour dégager 20 mn, et manger un sandwich avec elle à l’hôpital, pour l’encourager à s’alimenter. Quitte à engloutir un autre repas, où il était attendu, dans la foulée. Claude, la 2ème, le conseilla et modernisa son image, avec succès. A l’automne 94, alors que tous les sondages l’enterraient, elle fut la seule à croire en lui.

A l’international, il cassait la baraque. Non atlantiste, il refusa, seul à l’époque, la guerre en Irak en 2003. Plus cultivé qu’il n’y paraît, il adore le Japon des sumos, les arts premiers, Taroudant au Maroc. En Afrique, en Asie, dans le monde arabe, son nom fait toujours tilt. Le musée du quai Branly sonne comme un acte politique – toutes les cultures du monde se valent, et les plus menacées doivent être soutenues. Aujourd’hui, le vieux fauve crépusculaire est malade et las. On ne le voit plus, raison d’Etat oblige. Un chef ne décline pas, il s’éteint.