La couturière manie l’aiguille, le fil et le chas ; L’homme de loi, le code civil et les sous-effectifs dans les tribunaux ; Le boucher, les approvisionnements en provenance du Limousin et de l’Aubrac, et les clientes coiffées en chignon ; Le journaliste, le off.

Car le off, autant l’écrire d’emblée, c’est tout un art. Cette pratique consiste, pour une source d’information, à libérer sa parole auprès de journalistes, ces derniers garantissant la confidentialité de l’échange, dans une sorte d’entre-soi. En gros : je vous confie des choses pour que vous compreniez la situation, mais ne l’écrivez pas. Le off, sorte d’appât mutuel entre politiques et médias, qui en raffolent.

En 2007, je couvrais pour Associated Press un déplacement de François Fillon, alors Premier ministre, à Nîmes (Gard). Après une inauguration absurde de piscine périphérique, au cours de laquelle nous avons cherché en vain à obtenir une réaction de l’homme impassible de la Sarthe suite à l’annonce par l’Elysée du divorce de Nicolas Sarkozy d’avec Cécilia, la cohorte de plumitifs, trimballée en minibus, a été conduite dans une salle exiguë et trop éclairée, pour une réunion labellisée « off », avec François Fillon.

Erreur de débutant : je dégainai mon dictaphone. Un attaché ministériel zélé me le prit des mains et le jeta par terre, me fusillant du regard, avec cette condescendance grisailleuse si particulière aux Parisiens  : « C’est off, on a dit. Pas de dictaphone. » C’était peut-être off, mais il n’y avait rien à en dire, tant les différents temps d’échanges avec l’hôte de Matignon rivalisèrent de médiocrité. Mes confrères arboraient pourtant un air pénétré, souhaitant probablement se convaincre de participer à un moment de l’histoire. Ils auraient quelque chose de gratifiant – du faux « off » – à raconter le soir à leur femme et le week-end à leurs amis.

Plus récemment, Emmanuel Macron a confié à des journalistes l’accompagnant dans son périple en Europe de l’Est, qu’il parlerait plus souvent en français, notamment à la radio, média direct et populaire par excellence. Il l’a glissé en off, tout en misant sur le fait que ce soit repris. Off soft.

Entre les deux, François Hollande s’est confié, des mois durant, à des journalistes du Monde, qui ont publié « Un président ne devrait pas dire ça »*. Tout président qu’il fût, l’ex-chef de l’État n’a pu relire avant parution, et encore moins influer sur le contenu de l’ouvrage à paraître. On connaît la suite. Usage bof du off.

Et puis, il y a le off « de terrain », au quotidien. Il faut initier des « rendez-vous off », et les annoncer comme tels pour créer l’indispensable confiance, auprès des personnes-ressources. Privilégier des lieux neutres, pas courus par les médias et les décideurs. Tenir parole sur la confidentialité des échanges, en donnant du « de source proche » dans le papier à venir. Voilà une saine pratique. L’écheveau de dossiers inextricables se démêle. Les articles prennent du relief, et le journal de l’avance sur ses concurrents.

Non sans, quelquefois, des anicroches avec les sources, sur fond d’info sensible. « Je te l’ai dit en off ! – Mais tu n’es pas cité(e)… – Mais je m’en fous, on va se douter que c’est moi qui l’ai balancé, je suis l’un(e) des seul(e)s à le savoir ! – Tu n’exagères pas un peu là ? » Un déjeuner pour parler des vacances au Maroc calme généralement le jeu. Pas toujours, notamment avec la police/justice, où le off est totalement et toujours off. Savoir attendre quelques jours, voire quelques mois, pour distiller le scoop au bon moment. L’étoffe du off.

Voilà qui nous ramène à notre attaché zélé de 2007, dans le minibus nous menant à tombeau ouvert vers le Carré d’Art à Nîmes. Se tournant vers nous, l’air sévère : « Vous en avez pas marre, de faire la pub du gouvernement, avec vos dépêches d’agence convenues ? » Ben non, feuille de platane, quand je serai grand, tout ce que je n’ai pas pu écrire dans une dépêche d’agence convenue, je l’écrirai dans un billet du lundi. En ‘on’.

* Gérard Davet, Fabrice Lhomme, octobre 2016, éd. Stock.