Electrique ambiance, samedi à Béziers (Hérault), me replongeant dans les délices du reportage pur. Des paras de retour, bardés de médailles militaires et de dentiers premier prix et brandissant un ordre de mobilisation jauni, des ultras-radicaux de la Ligue du Midi beuglant « On est chez nous » sur les allées Paul Riquet et menaçant violemment des jeunes issus de l’immigration (« on va vous saigner »), des punks alcoolisés anti-fachos tout droit sortis des années 80, deux copines quinqua paumées enquillant 8,6 sur 8,6, un harki balafré de partout hurlant sa haine devant deux policiers municipaux à cheval, des hauts cadres du Front national – les députés Marion Maréchal-Le Pen et Gilbert Collard – claquant la porte des ‘Rendez-vous de Béziers’ orchestrés par le maire apparenté FN, Robert Ménard. Chacun refusant publiquement d’être le « marchepied » de l’autre, à l’heure où Ménard, créateur de Reporters sans frontières, imagine l’extrême-droite sans frontière, avec la création du mouvement ‘Oz ta droite’.

Environ 500 manifestants ont défilé dans l’après-midi pour s’opposer à la politique du très médiatique (à Paris) et très populaire (à Béziers) Robert Ménard. Ce dernier a tenté d’interdire la manifestation, mais la préfecture de l’Hérault l’a finalement autorisée.
Le cortège, très politisé (CGT, LDH, NPA…) et encadré par une dizaine de voitures de police, a, pendant deux heures, multiplié les slogans anti-Ménard : « Pas de quartier pour les fachos / Pas de fachos dans nos quartiers », « 1ère, 2ème, 3ème génération, nous sommes tous des enfants d immigrés », « Black blanc beur, la France c’est nous ». Sur son passage, dans le centre-ville de Béziers, des femmes voilées et des enfants apparaissent au fur et à mesure aux fenêtres. Certains filment la scène, presque surpris de trouver des soutiens ‘gaulois’.
Parmi les pancartes : « Non à la vision totalitaire du milicien d’Oz », « Ménard fonde un nouveau mouvement : reporter avec frontières », « ‘Le verbe résister doit toujours se conjuguer au présent’ – Lucie Aubrac »…

Clou du chaud show, le passage des anti-Ménard devant le palais des congrès, où se tiennent les ‘Rendez-vous de Béziers’. Pro et anti-Ménard s’insultent copieusement pendant une bonne dizaine de minutes, de part et d’autre du cordon de CRS, sans débordement notoire, malgré force doigts tendus et des sifflets nourris réciproques.
La sono du cortège crache ensuite le tube des Bérurier Noir, « La jeunesse emmerde le front national », qui énumère de multiples nationalités – « Salut à toi le Sénégalais, le Hollandais, le Coréen, le Laotien, le Pakistanais… »

Des prises de parole clôturent l’après-midi, sur la place du 14 juillet, qui fait face à la maison natale de Jean Moulin, figure emblématique de Béziers et de la Résistance. Pour Cyril Hennion (Union Solidaire Citoyenne Jean Moulin et LDH Béziers), Robert Ménard est en « conflit permanent avec l’Etat et les collectivités voisines, achevant d’enclaver le territoire, condamnant tout développement économique ». Le premier magistrat agit, d’après lui, « en commandant des croyants, incitant les citoyens à aller à la messe, tel un monarque ».

Dominique Sopo, président de SOS Racisme himself, enchaîne : « Cette manifestation montre que des Biterrois ne se résignent pas à la politique de déni de la démocratie. Robert Ménard essaie de faire de Béziers un laboratoire, avec les Biterrois comme cobaye, pour servir ses ambitions nationales. Il rassemble aujourd’hui des penseurs des années 60, pour donner un vernis de respectabilité à sa politique de haine et de confrontations. Il est né à Oran : il ferait bien de se rappeler que la politique de l’accueil a du bon. Sa volonté de résurgence du passé de l’Algérie veut transmettre ses rancoeurs aux nouvelles générations. Ce n’est pas ça, un élu de la République. »

Et pourtant, l’élu en question se dirige vers une réélection tranquille en 2020, comme en attestent les scores stratosphériques du FN aux élections départementales et régionales de 2015, dans ce secteur, entre autres. Ancien journaliste, il manipule les médias comme personne – tout faire pour être montré du doigt par les élites parisiennes, afin de fédérer un maximum de Biterrois, se sentant méprisés, derrière lui. Et il a l’intelligence d’habiter publiquement – son nom figure sur la sonnette – au cœur de sa ville, sur les allées Paul Riquet. Avec une vue imprenable sur ses opposants de la rue.