Il y a les adeptes du bureau vide, planquant leur bordel dans le placard et les tiroirs comme un secret honteux ou une sale maladie. Ou l’inverse : ceux qui affichent joyeusement leur goût du désordre. Chez d’autres, comme par magie, tout ou presque est vide – et le bureau, et le placard, et les tiroirs. Mystères de l’ultra-numérisation. Pour d’autres encore, tout est plein, partout. Ce n’est pas la vraie et joyeuse pagaille, mais plutôt l’obsession de tout conserver par piles oppressantes, jusqu’à l’étouffement, par incapacité à jeter les poids du passé. Il y a aussi les employés modèles, chefs de leur stylo, maîtres de leur univers en simili-cuir, qui ne partiront jamais en week-end sans avoir rangé leurs trophées de guerre, chaque vendredi à 17h35. Quitte à faire beaucoup de bruit pour bien finir d’agacer les collègues de l’open space.

Un bureau croulant sous des monceaux de dossiers ineptes, journaux jaunis, agrafeuses hors d’usage et invitations périmées, peut signifier plusieurs choses. Que le titulaire du poste ne maîtrise rien, que ce capharnaüm reflète la géométrie hasardeuse de son cerveau. Voilà l’enseignement académique, qui se vérifie parfois, certes, mais pas toujours. Car certains ont besoin d’un peu de bordel pour donner le meilleur d’eux-mêmes. Même, ils ne conçoivent pas la vie autrement. J’en fais partie : j’ai chopé les meilleures infos au milieu des hurlements hystériques des fans dans les meetings politiques, ou en pianotant sur le clavier, le Mac en équilibre, sur la selle du scooter, le téléphone coincé entre l’épaule et l’oreille, dans une zone d’activités lugubre. Déjà, au lycée, j’attendais l’ultime dead-line pour rédiger, en cours, le devoir-maison de philosophie, sous l’œil incrédule de mes camarades.

Un lieu de travail désordonné à outrance porte préjudice à l’entreprise. En termes d’image, bien sûr. Mais aussi, si des documents importants restent en souffrance – l’ouverture de courriers notamment, ou encore si des dossiers confidentiels apparaissent de façon trop visible. Les vrais bordéliques qui se respectent ne commettent pas ce genre d’impair. « Vu ton foutoir, je suppose que tu n’as pas reçu l’invitation pour l’inauguration du nouveau quai sur le port de Sète ? » ; « Quai H, 462 mètres de long, vendredi à 17h. » Je me marre.

Oui mais voilà : on n’est ni tout-puissants ni seuls au monde. On n’échappe pas aux règles, pas plus qu’aux policiers municipaux ou aux impôts locaux. Alors, il faut ordonner, de loin en loin, son espace de travail. Pour se montrer, ou faire croire que l’on désire se montrer, exemplaire, hygiénique, soucieux de son image et de celle de son employeur auprès des visiteurs de marque. Alors, aujourd’hui, crise automnale oblige, pendant 2h30, grand rangement de bureau. Les gars du nettoyage vont être ravis : une dizaine de sacs poubelles. Ça m’a fait un bien fou ? N’exagérons rien. Disons que je trouverai plus vite le rouleau de scotch, que le téléphone fixe est à nouveau visible et accessible, et que l’on peut marcher sans risquer sa vie en heurtant une pile de vieilles éditions de L’Équipe. Mais rassurez-vous : la fausse plante et le coffret de thé, c’est pas pour demain.