C’est vrai, ils se trompent rarement. Mis à part un taux d’abstention surévalué et un vote FN sous-évalué, les résultats d’hier soir du premier tour de l’élection présidentielle sont la copie conforme de ce que les instituts de sondage nous infligent depuis des semaines : Hollande grand favori, Sarkozy à la bagarre, Le Pen sur le podium, Mélenchon raflant à Bayrou le statut de trublion, les six autres inexistants, pour tout dire un brin grotesques – en 2017, je suggèrerai à mon boucher de se présenter, sa bavette est super.
Ils se trompent rarement, mais on ne va pas les applaudir. Leur dictature pose question. Les sondages influent sur la façon même de mener une campagne.
Deux exemples :
– en 2007, Sarkozy avait droitisé sa campagne pour « siphonner » – il ne s’en était pas caché – les voix du Front National, donné à 20 % d’intentions de vote, fin 2006. En clair, sa campagne victorieuse de l’époque a été échafaudée EN FONCTION des sondages, et non de convictions propres. La « racaille » qu’il a promis de « nettoyer au Kärcher » ? Pure stratégie d’OPA sur le FN. Sarkozy n’a que faire des cités, il n’y a jamais mis les pieds sans caméra à ses côtés. Ce qu’il a réussi en 2007, il l’a raté ce coup-ci. On ne prend pas les gens pour des cloches deux fois d’affilée.
– Cette année, Hollande ne se rapproche pas de Bayrou car ce dernier était plus bas dans les estimations qu’en 2007. Le PS ne semble donc pas avoir besoin de lui pour l’emporter. L’ouverture se limitera à ce que la gauche française sait faire en la matière : en cas de victoire, il y aura des hollande boys, des strauss-kahniens, des fabiusiens, des aubrystes et des royalistes au conseil des ministres.

Les sondages sont-ils une photo fidèle, ou, à force d’omnipotence, ne participent-ils pas à créer la réalité qu’ils sont censés simplement refléter ? Nous informent-ils, ou en sommes-nous les otages ? Mélenchon a-t-il monté parce qu’il a créé une adhésion ou parce que le fait de dire qu’il monte engendre une dynamique autour de sa personne ? Sans cette boussole des temps modernes, ce GPS des urnes, quel serait le parfum d’une grande élection démocratique ? Où iraient et que diraient les acteurs du jeu – électeurs, candidats, journalistes ?
Nous vivons avec les sondages, ils sont presque devenus nos amis. Mais il est des amis très intéressés. Ces amis-là, aux prénoms étranges (TNS Sofres, Ipsos, BVA, Louis Harris 2, OpinionWay…), alimentent les sujets de conversation, depuis les états-majors des grandes formations politiques jusqu’au café du coin, en passant par les salles de rédaction et les repas avec la belle-famille.
S’extirper de leurs filets, c’est le meilleur remède aux spéculations d’arrière-boutique, aux alliances ou propositions loufoques de dernière minute. Moins de marketing et de conseils en communication. Retour des convictions. Et pour tous, une délicieuse navigation à vue, avec comme seul repère l’écoute de son âme et le devoir de penser par soi-même. Je vais me reconvertir dans la science-fiction, moi.